HISTOIRES DE LA VIE A LA FRONTIERE

David Massey – Moira Sheehan – Kathy Dickinson

 

Sommaire

Un nouveau départ. 2

Lorsqu’un plan marche comme prévu. 9

Tout ce qui brille... 16

La créature la plus féroce sur Altair. 25

Du mauvais côté de la loi 33

L'espoir fait vivre. 44

Les dernières limites. 51

Orbite complète. 60

 

Source : http://www.b-lolo.com/AngesetElfes/FrontierEliteII/

Un nouveau départ

(David Massey)

 

Derek Flaggherty descendit en courant le couloir principal, tout en maudissant la terre entière. La lumière blanche criarde venant des éclairages au-dessus de sa tête, projetait des reflets d’or intenses des boutons et des galons de son uniforme, alors qu’il se bataillait pour finir de s’habiller tout en courant pêle-mêle vers le hall. Sa démarche était forcée et revêche, alors que son épée de cérémonie faisait de son mieux pour le faire tomber la tête la première.

« Je hais les épées, je hais les boutons », marmonna-t-il alors que le harnais de sa ceinture essayait dans un dernier effort, de l’envoyer culbuter sur le sol. « Ça fait des siècles qu’on a des fermetures éclair, mais ces misérables uniformes insistent encore pour avoir des misérables boutons ».

Alors qu’il prit enfin contrôle de son uniforme, la cible de sa véhémence passa sur ses compagnons de chambre qui l’avaient laissé dans ce pétrin. C’est très bien de couvrir quelqu’un qui a la gueule de bois et qui a besoin de quelques minutes de plus de sommeil, mais de le laisser dormir en un jour comme aujourd’hui, c’était cruel. Derek exécuta un dérapage contrôlé alors que sa botte gauche menaçait de glisser et, en sautant sur un pied tout en fixant sa botte, il émergea à l’air libre dans la cour.

Au-dessus de lui, le ciel rougeoyait, produit du contrôle météorologique dans un monde terraformé. Naturellement, la journée serait merveilleuse, comme c’était toujours le cas pour une occasion spéciale de cérémonie. Devant lui, il pouvait voir d’autres étudiants se dirigeant vers le hall principal. Rassemblant ses esprits et coinçant son épée désobéissante à sa place contre sa hanche, Derek marcha d’un pas plus nonchalant vers l’entrée principale.

« Du calme, du calme, respire profondément, c’est seulement le reste de ta vie qui est en jeu », murmura-t-il intérieurement. Son cœur commença à battre plus vite et toutes les leçons en maîtrise de soi et en bio-régulation semblèrent avoir très peu d’effet alors qu’il franchit la porte imposante. Il se mélangea aux autres retardataires, échangeant des regards penauds. D’une désinvolture bien préparée, comme si ce n’était pas la chose la plus importante de l’univers, il jeta un regard vers les tableaux d’affichage géants au bout de la grande pièce. Alors qu’il suivait du regard les rangées de noms, il sentit son pouls battre de plus en plus vite et un nœud se former dans sa poitrine et dans sa gorge. Il réalisa qu’il était possible que ses résultats ne soient pas bons dans certaines des tâches, mais il devait sûrement être dans le premier quart de la classe ? Une évaluation secrète avait été le mot d’ordre pendant les cinq ans de formation, mais ses instructeurs n’avaient jamais laissé entendre que sa performance était moins que bonne. Mais où était son misérable nom ?

Alors que ses yeux descendaient le long de la quatrième colonne, son moral tomba plus bas. Il y avait trois cent étudiants à la remise des diplômes de cette année, la contribution de ce secteur à la marine de la Fédération. Le rang final de l’étudiant déterminait son premier poste et ses options pour une spécialisation future. Alors qu’il fouillait les colonnes de positions, il avait de plus en plus peur de commencer (et probablement de rester) une canaille de chargeur de pont entre Enethze et Andwafa. Il ne pouvait plus le supporter. Assez de cette torture ! Il venait de passer la dernière colonne et toujours aucun signe de Flaggherty sur les listes. Dans ce cas, cela ne vaudrait pas la peine d’accepter sa nomination.

A contrecœur il tourna le dos aux tableaux et prit le chemin de la cafétéria, ses pieds traînant ses bottes noires luisantes d’une façon qui aurait fait grimacer et gueuler un sergent instructeur en quelques secondes. Personne ne remarqua. La masse de corps dans le hall faisait un brouhaha qui noyait ses pensées et les corps qui se bousculaient ne firent qu’accentuer sa solitude. Dans un état de choc paralysé, il s’affala dans une chaise libre dans la cafétéria.

Machinalement, il appuya pour avoir un café, le breuvage féroce de la marine, qui selon la rumeur publique venait des plantes riches en Carborundum au large de Gretiwa. Trois tasses de café de la marine et vos intestins étaient décapés net, enfin c’était la plaisanterie habituelle. Derek pensait maintenant était le moment parfais pour essayer d’en boire cinq. Il s’assit et il reprit d’un bon ses esprits. Peut-être que son père avait-il toujours eu raison. Il y avait encore une place pour Derek à la ferme, de retour sur Topaz à Ackandso. Pour une raison ou pour une autre, la pensée d’une telle chose ramena la panique de plein fouet. Qu’est-ce qui avait mal tourné ?

Avec des pensées suicidaires s’emballant furieusement dans son esprit, Derek pris sa troisième tasse de café. Le bruit venant du hall diminuait, alors que tout le monde s’habituait au fait qu’enfin ils étaient diplômés. Surpris, remplis de joie ou découragés, ils allaient chacun de son côté vers les rafraîchissements. Des concours de boisson commencèrent ici et là, alors que des petits groupes de diplômés commençaient à célébrer. Derek s’enfonça encore plus dans sa chaise et posa sa tête sur ses bras.

« Derek, où diable te cachais-tu ? » Le poids qui s’écrasa soudain sur ses épaules informa Derek qu’il avait été remarqué par Jungle-boy et tout le rugissement grave de la voix de cet homme énorme ne fit que confirmer la chose.

« Laisse-moi tranquille, veux-tu ? » maugréa Derek, qui commençait à ressentir l’effet de trois tasses de café de la marine d’affilé, de même que sa déception.

« Hé, mon pote, tu vas manquer la fête – tu en es la vedette ».

Il n’y avait pas moyen de refuser la pression insistante de Jungle-boy quand il voulait l’attention de quelqu’un, pensa Flaggherty. Son épaule menaça de sortir de sa cavité lorsque l’homme, venant de Cooperworld dans l’Aymiay, le souleva de sa chaise. Pendant un instant son épée refusa de céder, coincée contre un pied de la chaise, mais d’une secousse agacée il la libéra violemment.

« Qu’est-ce que tu racontes ? Ne peux-tu pas me laisser tranquille ? Mon nom n’est même pas sur les tableaux », gémit Flaggherty. Il se bataillait futilement pour se débarrasser de la poigne vicieuse de Jungle-boy.

Le relâchement soudain de la poigne sur son épaule envoya Derek s’affaler de surprise.

En colère, il se retourna pour voir une expression ironique apparaître sur le visage de Jungle-boy.

« Quoi, tu ne sais pas ? C’est génial, c’est vraiment génial ». Une saccade étrange commença à secouer les épaules de Jungle-boy, descendant jusqu’à son ventre et remontant jusqu’à sa tête. Il envoya sa tête en arrière et commença à rire. Rien de ce qui concernait Jungle-boy était à petite échelle et ses braillements faisaient tourner les têtes de tous les côtés du hall. Derek se sentit rougir et une colère silencieuse l’envahit.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu ferais mieux de me le dire ! ». Tout en sachant que c’était un autre instinct suicidaire, Derek prépara son poing pour frapper Jungle-boy, mais à ce moment là, son ami retrouva ses esprits et leva un bras pour pointer vers un petit tableau, à gauche des écrans principaux.

« Regarde ! » Dit-il, avant qu’une autre crise de rire ne reprenne le contrôle.

Derek se retourna et lut le tableau. Il n’y avait que quinze noms sur la liste et le sien était le sixième en partant du haut. Une sensation de choc commença à envahir son corps, alors que son cerveau lisait le reste du tableau. Les quinze meilleurs étaient récompensés avec la position de « top gun ». Les quinze meilleurs allaient sur Terre pour la remise des diplômes. Les quinze meilleurs, pris des quatre camps de formation principaux de la Fédération, allaient être emmenés à une cérémonie anniversaire de la remise des diplômes sur cette vieille Terre et il en faisait parti !

En un instant sa dépression avait disparu et il sentit une montée d’allégresse. Il avait le sentiment qu’il pourrait sauter directement sur Terre sans vaisseau ! Son ami faisait encore l’idiot et comme la tension disparaissait, il sentit le fou rire monter dans sa gorge. Les deux hommes se tombèrent l’un contre l’autre, les larmes coulant dans des yeux de Flaggherty. Il n’aurait pas à retourner dans cette ferme de misère après tout ! S’essuyant les yeux sur sa manche, Derek regarda Jungle-boy de haut en bas.

« Okaaay ! » Dit-il d’une voix traînante, « où elle est cette fête ? » Derek fit une pause pour respirer, puis ne pouvant plus résister il ajouta : « Au fait, ton épée est mal mise ».

* * * * *

Quatre semaines plus tard, Derek s’agitait encore une fois dans sa tenue de cérémonie. Assis dans une salle entourée des cinquante-neuf autres étudiants top gun, il remuait inconfortablement dans son siège. Son col se frotta lorsqu’il tourna la tête pour voir les rangées de ses compagnons « artilleurs ». Il se demanda si certains d’entre eux se sentaient aussi mal à l’aise que lui, parmi l’apparat et les façons de l’occasion.

« Stupide col », murmura-t-il, souhaitant qu’il fût possible de faire passer un doigt autour de son cou pour l’élargir. Tout le monde semblait être assis rigidement à sa place et Flaggherty ressentit le besoin presque irrésistible de tousser. Il lui semblait que les discours avaient duré pendant des heures et les jeunes hommes et les jeunes femmes dans le hall semblaient s’agiter de plus en plus.

Derek regarda le long de la ligne des officiers les plus hauts gradés, assis sur le podium surélevé où chaque étudiant recevait sa nomination vers la fin de la cérémonie. Tous étaient détendus et semblaient indifférents au flot de mots interminable provenant de l’interlocuteur du moment. Derek se demanda si la tolérance au blablabla venait avec l’âge, ou si on naissait avec.

Il espérait que c’était une habileté qui se développait, autrement il ne pourrait jamais s’habituer aux rituels des hauts rangs.

Flaggherty jeta un regard furtif en bas de la rangée de sièges et croisa le regard de Jungle-boy. Jungle-boy roula des yeux vers le plafond d’une façon théâtrale et Derek eut du mal à se retenir de rire. Il fit un bref signe de tête et se retourna vers l’avant de la pièce. L’Amiral, à la gauche du centre, semblait s’être endormi. Ses yeux étaient ouverts mais son regard allait bien au-delà de la pièce. Flaggherty était vaguement offensé par cela. C’est une chose d’être ennuyé par les cérémonies quand on est jeune, mais l’Amiral ne savait-il pas qu’il avait une responsabilité ici ?

Derek tourna son attention vers les évènements prévus pour après la cérémonie. Il allait encore voire Sophie ce soir et ils quitteraient sûrement les autres après un verre ou deux dans leur bar favori, puis direction restaurant et peut-être un spectacle. Il se sentit fier d’avoir réussi à trouver une fille comme Sophie juste une semaine dans la tombée des planètes.

La première semaine de leur séjour sur Terre avait été passée, comme beaucoup d’autres touristes, à absorber l’atmosphère et à visiter tous les pièges à touristes normaux. La Cité de Londres semblait être faite entièrement d’hôtels, de bars et de magasins de souvenirs, avec quelques bureaux menaçants cassant la ligne d’horizon et n’ayant rien à voir avec les marées de gens tourbillonnant dans les rues. Jungle-boy et Derek avaient été inséparables ces quelques premiers jours, étrangers sur une terre étrange et totalement stupéfaits par l’antiquité visible partout. Ils avaient rapidement adopté la coutume de la marine, qui était de trouver le plus de bars possible et de tester les marchandises.

Ce fut dans un tel établissement qu’ils avaient rencontré Sophie et qu’ils s’étaient présentés. Normalement a seule taille de Jungle-boy était intimidante et les filles partaient plus souvent qu’elles ne restaient après la plus petite pause possible, mais Sophie était restée. En fait Sophie avait été là le lendemain soir aussi, lorsque Derek avait suggéré qu’ils essayent encore une fois le bar, plutôt que de s’aventurer dans des nouveaux pâturages. Jungle-boy était resté un peu, mais pendant la soirée il était parti. Flaggherty n’était pas sûr du moment où Jungle-boy était parti, mais son grand ami dormait déjà quand il était rentré dans leur chambre.

Après cela, la plupart des soirées furent passées en la compagnie de Sophie, quelquefois avec Jungle-boy, mais plus souvent sans lui. C’était une fille intéressante, qui travaillait dans un des immeubles du gouvernement, dans une des plus vieilles parties de la Cité. Elle semblait immunisée contre l’ennui et pouvait écouter pendant des heures ses histoires sur la Marine et sur sa formation, ses espoirs et ses rêves. Elle avait applaudi de joie lorsqu’il lui avait dit qu’il était un des « artilleurs » et, pour une raison ou une autre, cette démonstration enfantine ne l’avait rendue que plus attachante. Même après une seule semaine, elle venait faire de plus en plus partie de ses rêves d’avenir.

L’attention de Derek fut ramenée au hall par une sonnerie soudaine des trompettes. Avec un sursaut il concentra son regard droit devant et remarqua avec joie que l’Amiral avait également l’air un peu froissé par le bruit soudain. La fanfare signalait la fin des discours initiaux et la cérémonie de présentation pouvait maintenant commencer. Derek s’essuya les mains sur les côtés de son pantalon, heureux pour la première fois qu’il fut en laine, et non pas en tissu de treillis de combat étanche, puisqu’il absorbait sa transpiration sans difficulté. Un par un, les « artilleurs » furent appelés pour venir recevoir la nomination de l’Amiral, officiellement diplômés de l’académie de la marine et désormais officiers subalternes dans la Marine de la Fédération.

Le cœur de Derek se gonfla de fierté lorsqu’on appela son nom et il se leva pour avancer à grandes enjambées. Des visions de son avenir dansaient devant lui alors qu’il s’approcha pour serrer la main de l’Amiral.

* * * * *

Le lendemain matin Derek buvait une autre tasse de café de la marine dans la cafétéria principale, lorsqu’il fut littéralement secoué hors de sa rêverie par une main énorme agrippant son épaule.

« Oh, salut Jungle-boy », murmura-t-il, sans un regard. Le poids faisant craquer fortement le lourd plastique annonça que son ami s’était assis sur la chaise d’à côté.

« Pourquoi fais-tu cette tête ? Qu’est ce qui ne va pas ? »

« Pourquoi penses-tu que quelque chose ne va pas ? Tout va bien, c’est un jour merveilleux, vas-t’en ».

« Allons, allons, quand quelqu’un essaye de boire trois tasses de café de la marine » — Jungle-boy fit un geste vers les tasses en plastique alignées à côté du couple de Derek — « cela veut dire qu’il y a quelque chose qui va vraiment mal. Ne t’ont-ils pas donné tes ordres ? ». Jungle-boy fit claquer une enveloppe blanche fine sous le nez de Flaggherty. Ce geste fut suivi d’un grognement dégoûté de Derek et avala une autre gorgée de ce breuvage corrosif.

« J’ai eu la fonction d’éclaireur », exulta Jungle-boy, essayant de stimuler son ami hors d’une dépression évidente. « Un Cobra III tout nouveau, réinstallé avec une puissance d’usine navale, des armes améliorées et un système de navigation, et tout un groupe de senseurs planétaires à longue portée. Cette fois il semble qu’ils aient reconnu mes véritables talents après tout. Lieutenant Jolius de la Marine de la Fédération, c’est moi ! ».

Malgré lui, Derek réussit à sourire. « Alors, où est-ce qu’ils t’envoient ? Bien loin j’espère, je ne veux pas que tu viennes à jamais me tirer de mes mauvaises humeurs, tu sais ! ».

« Je n’en ai jamais entendu parler avant, j’ai dû aller voir dans le guide des vaisseaux. Je m’en vais à la Frontière, partant de Zelada et allant vers l’extérieur. Pas d’ordres fixes, juste de ne pas rentrer sans nouvelles intéressantes ». Le sourire de Jungle-boy donnait l’impression que son visage allait se fendre en deux. Il rayonnait presque de fierté et d’enthousiasme à l’idée de la possibilité d’utiliser sa nomination pour se vanter à ses supérieurs.

« Cela ne fait-il pas partie de la zone contestée ? » Derek avait tendance à voir le mauvais côté des choses. Cela lui avait donné la réputation d’être un rabat-joie aux yeux de certains étudiants, mais cela l’avait protégé contre certains des mauvais pièges posés par les évaluateurs de l’académie.

« Hé, tout ce qui est plus loin que 25 années lumières de la Terre est contesté, c’est ce qui en fait l’intérêt. J’ai entendu dire que c’était près d’une zone pirate aussi ! Voilà la chance de me faire un nom. Je peux trouver une nouvelle planète, ou je peux détruire la conspiration d’un Empire diabolique à voler notre espace ou je peux écraser un groupe de pirates ». Jungle-boy s’appuya dans sa chaise accompagné de craquements sinistres. D’un geste théâtral il balança son bras autour de sa tête. « Je ne peux que réussir à faire quelque chose d’utile ». Il se pencha près de Flaggherty et murmura dans le coin de sa bouche : « Et toi ? »

Derek tira de sa poche une enveloppe dossier et la jeta sur la table. « Tiens, regarde ».

Jungle-boy fit glisser le papier hors de son emballage et l’examina. Ses sourcils se ridèrent alors qu’il lisait les brèves instructions. « Ça a l’air d’un boulot facile », murmura-t-il, d’un ton légèrement étonné. « Transporter quelqu’un à Achenar puis continuer avec le vaisseau, le Spirit of Amenitris ».

« Faire la nounou à un Ambassadeur jusqu’au Capitole, s’assurer qu’il atteigne l’Empire sain et sauf puis rentrer à la maison ! Quelle mission, ça. Pourquoi moi ? Je croyais qu’on devait avoir les places en or, puisqu’on est les artilleurs ». La voix de Flaggherty trahissait ses émotions, il semblait irritable et frustré. « Tu as un vaisseau éclaireur jusqu’au bout de l’espace humain — je me retrouve sur un liner commercial de malheur dans un des couloirs les moins dangereux de l’espace. Où est l’intérêt là dedans ? ».

Dans un moment de misère, Derek prit une autre gorgée de son café. Jungle-boy fit signe à une serveuse qui passait, de lui apporter à boire, n’importe quoi sauf le breuvage diabolique de son ami.

« Tu as une idée de la date de départ de ton voyage ? De quoi a l’air le vaisseau ? Qu’a dit Sophie ? » Jungle-boy essayait par tous les moyens de briser la mauvaise humeur de son ami.

« Non, je n’ai pas encore regardé les horaires ». La férocité de la réponse de Derek prit Jungle-boy par surprise, la remarque suivante de son ami le fit sourire d’une façon désabusée, car elle expliquait pour beaucoup la mauvaise humeur de Derek.

« Elle m’a posé un lapin hier soir ! Nous avions un rendez-vous et elle n’est pas venue du tout. J’ai attendu pendant des heures ».

« Ha ! La voilà la raison pour la tête que tu fais ». Jungle-boy se souleva de son siège et poussa du coude Derek après lui. Ce ne fut pas difficile pour Jungle-boy de persuader Derek à se lever, sa bouderie commençait à s’épuiser de toute façon. Cela semblait si injuste, quand il commençait à s’entendre si bien avec cette fille. Peut-être la verrait-il ce soir. « Allons faire un tour au port spatial, allons voir ce liner tramp Spirit ».

Louer un vélo pour aller au port spatial ne fut pas un problème. Les rues de la Cité braillaient sous la pluie du matin qui avait été prévue et l’air sentait bon les feuilles (les services municipaux s’occupaient de beaucoup de choses et garder une atmosphère agréable dans la Cité était une de ces choses). Il y avait peu de circulation et il n’y avait même pas foule lorsqu’ils s’approchèrent du port navette normalement animé. Les deux jeunes officiers essayèrent de rester impassibles devant la taille des immeubles, mais ils ne pouvaient s’empêcher d’être intimidés par l’âge des monuments de vols spatiaux déployés autour du site pour que tout le monde les voie.

Quand ils entrèrent dans le hall principal, ils avaient les yeux grand-ouverts comme des novices, bien qu’ils soient passés par des centaines de bases navales durant leurs cours.

« Tu vas voir la date et l’heure de départ aux bureaux des réservations. Je vais voir sur le terrain si je peux trouver ton vaisseau ». Jungle-boy montra à Derek les files d’attente des passagers d’un côté du hall et s’en alla vers la grande baie vitrée de l’autre. Il se retourna alors qu’il s’éloignait et dit à son ami : « N’oublie pas de regarder sur toutes les affiches ! ».

Derek grogna et se fraya un chemin dans un endroit libre entre les allées remplies de gens en partance pour l’espace et commença à scruter les tableaux au-dessus de leurs têtes.

Vingt minutes plus tard, il traversait la pièce vers ka fenêtre à la recherche de son ami. Ce ne fut pas très dur, sa large taille était une île d’immobilité évidente dans la foule grouillante devant la baie vitrée. Il était appuyé contre la vitre anti-explosion comme s’il était collé à la vue dehors.

« Je ne trouve nulle part. Il ne semble pas y avoir de vol prévu pour Achenar sur un vaisseau appelé Spirit. Je ne peux pas croire qu’ils aient réussi à foutre en l’air ma première mission ! ». La voix de Derek avait un air familier de frustration. Jungle-boy ne semblait pas avoir entendu, alors Flaggherty se répéta. « J’ai dit qu’il n’était pas ici. Il n’y a pas de Spirit of Amenitris ».

« Oh si, il est là », souffla Jungle-boy sans quitter des yeux la fenêtre ? « Regarde juste là-bas, au bout du terrain. Le tout nouveau ».

Derek se pencha vers la fenêtre et regarda ce que son ami fixait depuis si longtemps. Alors que son cerveau enregistrait la vision, il asséna un coup contre le plastique avec un bruit sourd.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? » murmura-t-il, regardant la coque brillante avec le nom fièrement blasonné sur sa proue.

« Ça, mon pote, c’est un nouveau croiseur de la Marine. Il fait son premier vol dans deux jours. Il s’en va pour le Capitole, une preuve de force pour l’Empire, paraît-il. Votre ambassadeur ne prend pas un liner pour Achenar, il va sur le voyage d’essai de notre plus récent vaisseau. Et tu es du voyage ! ».

Derek resta silencieux pendant un moment, absorbant la nouvelle. Au lieu de seize semaines d’ennui pendant que le liner commercial de misère faisait le petit saut normal, pour aller au cœur de l’Empire, le croiseur pourrait probablement le faire en une ou deux semaines. Et après, en voyage Dieu sait où ? Les commandants de nouveaux vaisseaux lors de leurs premières missions étaient traditionnellement libres de choisir leurs vols et la plupart réussissaient à obtenir des situations intéressantes. La vie s’améliorait. C’était vraiment un jour merveilleux.


 

Lorsqu’un plan marche comme prévu

(David Massey)

 

Sophie Redbridge surfait en rasant vers le sable, sa planche pneumatique accrochée fermement à ses pieds nus, alors que l’écume fine venant de la mer de Topaz éclaboussait son visage. Elle regarda autour d’elle les visages souriants des surfeurs et se permet, au passage, un coup d’œil à la réflexion de l’éblouissement blanc bouillonnant de Facece dans les eaux mauves en-dessous. Une vague énorme commença à se former sous elle et elle se prépara à la monter vers la rive dans le lointain…

Le réveil fit intrusion dans sa conscience avec un vacarme strident. Elle se retourna dans le coussin d’air et tâtonna à l’aveuglette à la recherche de la région à tuer. Sa main sauvage battant l’air se trouva enfin au-dessus du minuteur et, comme son rayon laser invisible fut interrompu, le réveil s’arrêta et la litanie du matin commença.

« Bonjour Sophie, c’est l’heure de se lever. On a besoin de toi au bureau aujourd’hui. Importante réunion du conseil pour toi. N’oublie pas le supplément de protéine aujourd’hui et c’est l’heure de vérifier encore les tableaux d’affichage… ». La voix informatique douce et incessante continua à conseiller et à cajoler Sophie hors de son sommeil, répétant ses messages une deuxième fois au cas où ils n’auraient pas été entendus la première fois. Elle avait commencé une troisième répétition avant que le bras balançant ne réussisse à arrêter le circuit. Le silence retomba dans la pièce, le seul son étant la susurration de la climatisation et les bruissements normaux d’un corps qui se réveille. Négligemment Sophie se demanda pourquoi elle avait rêvé de ses jeunes années sur Facece. Tout soupçon qu’elle avait grandi dans l’Empire ne serait pas le bienvenu dans son travail. Elle ne pouvait pas se permettre de faux pas.

Le réveil consistait d’une interface d’ordinateur et était programmé pour faire la liste des évènements de la journée enregistrés par l’occupant. Il répétait quatre fois puis sonnait l’alarme une deuxième fois s’il n’y avait pas eu de réponse avant. Il ne marchait que lorsqu’il y avait quelqu’un dans la pièce et, s’il n’y avait aucune interruption après la deuxième alarme et la deuxième séquence de messages, il appelait automatiquement la sécurité de l’immeuble et l’équipe médicale. Lorsque vous payez un loyer dans un appartement comme celui-ci, vous pouvez vous attendre à ce qu’on s’occupe bien de vous. Les agressions fortuites dans des immeubles protégés étaient extrêmement rares, mais il fallait mieux être prudent.

L’ordinateur prit note de la routine normale du réveil. La douche était prête à la température préférée de l’occupant. Le petit déjeuner était prêt lorsqu’elle franchit la barrière d’air dans la pièce principale et une sélection de vêtements propres était étalée à la place du lit. Certaines personnes préfèrent une projection holographique d’un matelas à l’ancienne mode sur le champ pression, mais Sophie aimait l’illusion de dormir dans l’espace, donc l’ordinateur fournissait cela à la place.

« OK, déverse ! » dit-elle avec brusquerie, tout en buvant une tasse de thé Oolong sans lait et grignotant un petit morceau de toast. L’ordinateur commença à détailler l’itinéraire de la journée ; Réunions d’affaires, déjeuner, invités officiels à reconnaître et toute une série d’autres détails mineurs. Dans une fente du mur arriva le courrier du jour, un paquet d’engrais inhabituel qu’elle plaça dans un grand sac à main. Le fait que le réseau d’ordinateur central de la Terre lui laissait rassembler cette combinaison particulière de protéines et de minéraux l’avait toujours amusé.

Comme elle s’affairait aux dernières préparations avant de partir pour le bureau, elle activa le lien avec le tableau d’affichage et regarda, avec des yeux de myope, les lignes vertes pendues dans l’air, devant la boîte grise de l’interface de l’ordinateur. Comme elle scrutait rapidement les annonces, une d’entre elles retint son attention et elle la fixa avec une mine renfrognée qui aurait surpris ses supérieurs. Ils auraient été encore plus surpris s’ils avaient su ce qui avait attiré son regard et bien plus inquiets s’ils avaient réalisé ce que cela signifiait pour elle.

L’article offensant était une annonce de « demande », quelqu’un cherchait un collier de platine incrusté de rubis. L’aspect important était les rubis. Des émeraudes auraient signifié qu’il n’y avait pas de changement et des saphirs une réunion urgente. Des rubis lui disaient qu’on la retirait de la scène. Sophie se demanda ce qui n’allait pas et pourquoi on lui retirait le tapis sous les pieds. Elle était talentueuse dans son travail et elle avait infiltré le système du gouvernement de la Fédération sans problème. Autant qu’elle sache personne ne la suspectait d’être un espion pour l’Empire. Bien sûr, s’ils étaient bons, elle ne le saurait qu’après avoir été arrêtée et inculpée.

A partir du message codé, elle savait que son retrait serait effectué dans l’ordre ; Une échappée d’urgence aurait utilisé un autre code. Elle avait encore quelques jours de grâce et tous les plans d’urgence pour une sortie sans problème tomberaient en place. La meilleure chose à faire aujourd’hui était de continuer la routine habituelle, écouter les derniers commérages et puis mettre la machine de déménagement en marche.

Sophie n’était pas une fille à paniquer. Elle finit son petit déjeuner très à l’aise et fit une dernière vérification de la pièce avant de partir pour le bureau. La seule incartade à la routine eut lieu lorsqu’elle se retourna dans la salle de bain et brisa une petite ampoule en plastique sous son nez et respira profondément. Elle sortit de l’appartement d’une façon normal avec un but précis et en toute désinvolture jeta les moitiés de l’ampoule dans une poubelle en passant devant le garde, cachant l’action avec un éternuement.

Lorsqu’elle atteint le bureau, son nez était douloureux et l’éternuement et la toux devenus plus prononcés. Le sergent la regarda avec inquiétude.

« Bonjour mademoiselle Redbridge ! ». L’accueil du garde était le même que les autres jours, pas d’indication d’une arrestation soudaine. Sophie s’était légèrement inquiétée pendant son court trajet pour venir travailler, mais tout semblait être normal et les Feds n’allaient pas se refermer sur elle immédiatement. Le garde s’approcha d’une petite fente dans son bureau à côté de lui.

« Je suis désolé, mais il y a un autre contrôle intermittent, mademoiselle, si cela ne vous dérange pas ! ».

« Non, c’est d’accord Charlie, je suis toujours la même ! ». Sophie glissa son index gauche dans l’ouverture et ressentit la pression légère lorsque l’échantillonneur automatique prit une goutte de sang pour l’analyse. « Cela ne fait presque pas mal du tout ! ».

 

« Je peux l’embrasser pour le réconforter quand vous voulez ». Charlie sourit avec un regard concupiscent exagéré. Sophie était certainement une des plus jolies de l’équipe supérieure et elle rit bien naturellement de la plaisanterie habituelle. L’ordinateur de bureau fit clignoter une lumière verte, une sonnerie retentit et les portes de sécurité s’ouvrirent. Sophie avança avec une démarche sensuelle et envoya, par-dessus son épaule, un baiser au garde.

« Ne jamais faire confiance à une machine », pensa-t-elle comme elle avançait à grandes enjambées dans le couloir, faisant des signes de tête aux connaissances et aux amis. « La Fédération sait peut-être comment faire des ordinateurs et des machines extraordinaires, mais elle serait vraiment en colère si elle savait comment nous bernons leurs empreintes digitales ADN ! ». Son enjambée acquit un peu plus de légèreté alors que son humeur s’améliorait. Elle était impatiente de profiter de la journée à venir, une dernière chance pour rassembler un peu plus de renseignements utiles pour ses patrons, là-bas dans l’Empire.

Sophie était, comme d’habitude, la dernière à quitter son étage de l’immeuble. De temps en temps, le personnel travaillant pour elle se demandait pourquoi elle était si fière des plantes dans les bureaux et pourquoi elle passait tant de temps à s’en occuper. S’ils avaient réalisé l’importance des buissons pour ses autres activités, les collègues de Sophie auraient été époustouflés, pour ne pas dire outragés. Frappant à regarder, agréable à sentir et remplissant le bureau d’un sentiment non-terrien, le décor du bureau faisait plus pour le rassemblement de renseignements que les rares incursions de Sophie dans les dossiers du Président.

Sophie avait introduit petit à petit les arbustes dans les pièces, commençant avec un petit sur son propre bureau. « C’était un cadeau de mon frère », était l’explication qu’elle donnait à quiconque montrait de l’intérêt dans la plante gazouillante. En quelques mois, tous les bureaux de l’étage avaient une des « plantes murmurantes », et puisque seul Sophie semblait avoir le talent de leur assurer une croissance en bonne santé, elle entreprit rapidement de les nourrir et de les arroser toutes. Les « plantes » étaient importées de Quphieth et étaient de véritables créatures étrangères. Bien sûr, dans ce cas « plante » et « animal » n’étaient pas les termes exacts et la créature était une des espèces carnivores de cette planète. Elle était immobile et utilisait couleur, odeur et son pour attirer sa proie. En même temps, elle pouvait photo-synthétiser et ainsi rester sans manger pendant de très longues périodes. Un petit peu de bricolage génétique avait suffit pour en faire une plante espion parfaite.

Sur sa planète natale, l’arbuste murmurant pouvait imiter les appels des mobiles locaux, des oiseaux et des mammifères. Les forêts et les champs de la planète étaient remplis de sons et de couleurs vives, des imitations bizarres se mélangeant aux appels des oiseaux. Les visiteurs humains étaient fascinés par une plante en pot qui pouvait imiter les conversations comme aucun perroquet, né sur Terre, ne pourrait jamais le faire. Sophie se demanda qui était l’agent astucieux de l’Empire qui avait remarqué le potentiel de ces créatures pour l’espionnage.

Alors qu’elle passait de bureau en bureau, utilisant un passe fourni par son chef de section, elle regarda une dernière fois ses valeureuses alliées. Chacune était dans un pot séparé, à peine 20 centimètres de haut, mais un buisson géant de deux mètres était placé au bout de la salle de conférence principale. Chaque étrange créature avait la même forme : Un tronc épais, assez court, avec une bordure de plumes bleu-vif dépassant à l’horizontale d’environ la moitié de la hauteur du tronc, puis une masse de feuilles d’un rouge éblouissant d’au moins deux fois la longueur du tronc finissait le tout.

A la base des feuilles se trouvait un orifice d’alimentation et, dans certain cas, un petit animal pouvait être pris au piège dans la cime de la plante et tiré à l’intérieur. Autrement, les insectes pouvaient être « avalés » lorsqu’une feuille se repliait simplement sur sa longueur, formant un tube étroit. Tout le long du tronc se trouvaient de petites ouvertures, qui pouvaient produire la variété de sons qui donnait à la créature son nom. La grande attraction pour le personnel était les appels de fond que la plante produisait sans arrêt une fois mise sur Terre.

A chaque plante, Sophie s’arrêtait et posait avec le pouce un petit appareil d’enregistrement, avant d’introduire un peu de la nourriture spéciale livrée à l’appartement ce matin. Au toucher des molécules adaptées, le gazouillement de la plante murmurante changeait de ton. Au lieu des appels de fond du lointain Quphieth, l’air se remplit de ma conversation assourdie du personnel de bureau ; Sophie allait envoyer l’enregistrement à son contact régulier, une personne qu’elle n’avait jamais vue et qu’elle ne verrait maintenant jamais, qui déchiffrait le mélange de voix et des sujets et qui trierait et dégagerait les renseignements utiles.

Sophie aimait ses plantes murmurantes, elles étaient sans doute le point fort de sa mission sur Terre. Chaque arrivée dans l’immeuble était examinée à la recherche de magnétophones, les médias enregistrant étaient rigoureusement contrôlés et avant chaque réunion importante la pièce était dépistée contre les micros. Personne n’avait jamais pensé à enlever l’arbuste des sessions secrètes, ou que les magnétophones normaux de bureaux pouvaient être utilisés à d’autres fins lorsque personne ne regardait. Il était facile d’introduire ou des sortir des médias enregistrant en plus, tant qu’ils n’avaient aucun magnétophone avec eux. Sophie et ses alliés avaient des enregistrements presque complets de chaque conversation et réunion qui avait lieu sur son étage du complexe, durant les trois dernières années. Quel dommage de devoir leur dire à toutes au revoir.

« Bonsoir, Mademoiselle Redbridge », dit Charlie alors qu’elle quittait l’immeuble. « Vous devriez voir un docteur pour ce rhume vous savez ». Plusieurs personnes au bureau avaient montré, pendant la journée, une inquiétude similaire concernant le rhume de Sophie. Bien que le rhume commun terrien ait été guéri depuis longtemps, des allergies et des microbes venant des colonies, permettaient de garder un flot constant de maladies bénignes avec les symptômes d’éternuement et de nez qui coule. C’était sérieux et cela devait être examiné et guéri.

« Je n’y manquerai pas ». Elle renifla en franchissant les portes et se retrouva dans l’air de la nuit. Sophie savait qu’elle n’avait pas à s’inquiéter de l’infection. Elle savait déjà ce que c’était, puisqu’elle l’avait respirée ce matin en cassant l’ampoule. La maladie était simplement une des étapes à prendre pour assurer un retrait facile de la Fédération. Elle n’avait aucune illusion sur sa propre importance individuelle, mais il y avait beaucoup de renseignements sur les techniques de l’Empire dans sa tête. Elle avait l’intention de les garder exactement où ils étaient.

Les microbes envahissant son système produisirent une large gamme de symptômes de maladie courante mais ils ne firent rien pour embrouiller ses pensées. Ayant l’air, aux yeux du monde entier, d’une grande « victime de la grippe », Sophie rentra dans son appartement et envoya un message codé pour une équipe médicale. Ils arriveraient d’ici une heure et elle avait quelques dernières présentations à faire avant de partir.

Son premier arrêt fut la salle de bain, où elle vida un de ses parfums dans le lavabo. C’était dommage de s’en débarrasser, mais c’était trop compromettant pour le transporter. Elle avait très peu utilisé son optimiseur de phéromone pendant les cinq ans de son travail assigné, juste assez pour attirer quelques hommes très importants qui avaient énormément aidé sa carrière. Le chantage ou quelque chose d’aussi sordide n’était pas nécessaire. Une fois piégés par quelques gouttes du « parfum » dans une boisson, ils étaient vraiment prêts à l’aider de toutes les façons possibles et imaginables.

« Et ce jeune lieutenant avait eu l’air si prometteur », songea-t-elle alors que le fluide s’écoulait dans le lavabo. « Je dois envoyer un message au garçon. Je ne pourrai pas être au rendez-vous ce soir ». Les dernières gouttes du liquide tournoyèrent dans le lavabo, elle rinça la bouteille et la remplit à moitié avec du parfum plus conventionnel. Il lui faudrait synthétiser plus de phéromone pour sa prochaine mission.

Une demi-heure plus tard on sonnait à la porte et elle faisait entrer l’équipe médicale. Le docteur fit un examen rapide pendant que le garçon de salle et l’infirmière attendaient. Les règlements de l’union insistaient sur une équipe médicale de déplacement de trois et l’Empire allait les mettre à bon usage. Après son bref examen, le docteur tourna son attention vers le terminal informatique de Sophie et fit prendre note à l’appartement de trois jours de repos au lit et d’une série de médicaments pour guérir la maladie diagnostiquée. Il y eut une soudaine poussée d’activité comme la patiente était mise au lit et le premier des médicaments administré.

Tous les ordinateurs d’appartement contrôlaient continuellement l’activité dans les pièces. Les fiches informatiques étaient admissibles comme preuve dans les tribunaux de la Fédération, mais un abus de tels renseignements par des officiels n’étant pas du gouvernement était un crime sérieux. Dans ce cas, l’échange entre Sophie et l’infirmière fut effectué devant l’ordinateur, mais ses sens ordinaires ne pouvaient pas faire la différence entre les deux.

En fait, il aurait fallu un observateur très talentueux pour remarquer les différences subtiles entre les deux femmes. Une était un peu plus trapue, une avait des racines de cheveux artificielles, autrement elles étaient identiques. Cela n’était pas surprenant, puisque dès que l’infirmière était arrivée dans le pénitencier à esclaves il y a cinq ans, l’apparence de Sophie avait été chirurgicalement modifiée, suffisamment pour les rendre identiques. Seule une empreinte digitale génétique pouvait les différencier et la fiche génétique de Sophie, qui se trouvait au Ministère où elle travaillait, était celle de la fille maintenant couchée dans son lit.

La dernière opération sur Sophie, avant son introduction sur Terre, avait été de remplacer le bout de son index gauche avec une copie dérivée d’un des doigts de pied de l’esclave (et l’amputation d’un de ses doigts de pied en même temps, pour que les deux filles gardent les mêmes signes particuliers). C’était un des triomphes des ingénieurs biologiques Impérieux de pouvoir garder en vie un élément artificiel, sans être du tout rejeté par son receveur. La Fédération était fière de sa miniaturisation électronique et mécanique, mais elle était loin derrière l’Empire en ce qui concernait les talents biologiques. Sophie avait presque ri aux éclats chaque fois que la vérification de sécurité avait été faite. L’emprunte digitale génétique assurait que personne ne puisse infiltrer le système de sécurité. C’était très bien, tant que personne n’avait deux empreintes digitales !

Le double de Sophie avait été suspendu dans un coma provoqué par une drogue pendant cinq ans, sa mémoire périodiquement mise à jour avec des versions censurées des activités de Sophie. Lorsque la fille sur le lit se serait remise de sa petite maladie, elle reprendrait « son » travail au Ministère, apparemment sans un arrêt. Sophie se demanda si elle ferait du bon travail — au moins son temps comme esclave de l’Empire était fini. C’était beaucoup d’effort, semblait-il, pour protéger un simple agent secret, mais les techniques avaient été perfectionnées sur de nombreuses décennies et maintenant tous les agents avaient au moins un double de couverture « entreposé au chaud ».

Les quelques jours suivants furent passés à mettre au point sa disparition de la Terre. La première chose que fit Sophie fut de mettre un message sur le tableau d’affichage, juste une des nombreuses « requêtes de passager ». Sa conversation avec le docteur avait suffit à la convaincre que les Feds étaient plus près qu’elle ne pensait et son idée d’origine de partir à bord d’un liner commercial semblait moins promettante. En tant qu’espionne avec une formation, Sophie savait que les ordinateurs de la Fédération pouvaient être très sophistiqués et que leurs recherches pouvaient être très poussées si l’alarme était donnée. Bien que Sophie fût certaine que sa fiche d’ADN était complètement inattaquable, il y avait toujours un petit doute. Sa devise avait toujours été « pourquoi prendre des risques ? », et elle était déterminée à la garder. Son ADN devait être pris le moins de fois possible et il y aurait moins de risques que quelque chose ne tourne mal — tous les vols commerciaux réguliers étaient enregistrés automatiquement à des fins d’assurance.

Les fiches d’ADN de tous les voyageurs étaient gardées pendant soixante quinze ans ou plus dans le dossier central, mais leur accès était contrôlé avec soin. Cependant, une recherche de grande envergure pour un agent de l’Empire serait suffisante pour obtenir accès à ces renseignements. Certains ordinateurs principaux de la Fédération étaient suffisamment intelligents pour faire des sauts d’intuition apparente et pourraient faire le lien entre sa nouvelle identité et l’ancienne, même si elle avait pris toutes les précautions nécessaires. Mieux valait être trop prudente, — si elle pouvait trouver un négociant approprié, elle pourrait peut-être éviter de s’inscrire pour une vérification complète d’ADN, utilisant un appareil à bord d’un navire au lieu de l’appareil commercial normal utilisé pour les inscriptions de vol liner.

Pendant que ses cheveux reprenaient leur forme et leurs couleurs naturelles, elle envoya des messages à deux contacts. C’était deux jeunes modèles, avec une forme et une taille suffisamment proche de la sienne pour déconcerter, mais ans aucun lien avec l’Empire. Elles avaient été contactées par une agence et elles pensaient être en chemin pour passer un entretien sur des planètes proches. Peu d’actrices voyageaient sur d’autres planètes pour une audition, du moins tant qu’elles n’étaient pas « très connues », mais puisque leurs billets et les frais étaient payés, il était peu probable que les filles se plaignent. En fait la seule chose qui les énervait vraiment serait un retard pour arriver à destination. Malheur au policier qui essayera de les retarder un tant soit peu !

Un jour plus tard, Sophie avait reçu trois offres de transport pour Facece, le second système de l’Empire et l’emplacement de la plupart des agences secrètes. Elle en tira une au hasard, choisissant un vieux cargo tramp abimé qui vantait ses services passagers modifiés relativement luxueux. Deux jours plus tard Sophie quittait la Terre sur le Never Too Late. Elle était montée à bord portant son bagage à main et elle souffla de soulagement lorsqu’elle vit le vieil équipement d’autorisation pour l’inscription des passagers.

Le transport de passagers à bord des cargos varie beaucoup d’un bateau à l’autre, d’une petite cage sordide contenant à peine une climatisation adéquate à des pièces fermées somptueuses avec tous les équipements et le confort imaginables. Il n’y avait presque jamais de lien direct avec le reste du navire. Le Nerver Too Late était différent ; Les passagers pouvaient visiter les cales à cargaisons et même communiquer avec le pont. Sophie avait vérifié qu’elle était la seule à faire le voyage pour Facece et elle réussit, en quelques heures, à former une bonne entente avec le Capitaine du vaisseau, même sans sa fiole d’optimisation de phéromone.

Sophie passa les jours suivants à s’agiter, partageant son temps entre les confins luxueux de sa « cabine » et le centre de communication du vaisseau. Sophie fut surprise de se sentir si vulnérable alors que le cargo faisait chemin pour sortir du système solaire. Elle était très consciente que tout vaisseau militaire pourrait rapidement les rattraper et que son arrestation serait chose facile pour tout vaisseau armé. Elle savait sans aucun doute que le Capitaine la livrerait si telle était la demande. Un coup d’œil à l’équipement du navire lui avait montré qu’il n’était pas capable de distancer ou de se battre contre une sérieuse opposition.

Si le Capitaine était concerné par l’intérêt que sa passagère portait aux informations, il ne le laissa pas voir et il laissa Sophie contrôler les chaînes comme bon lui semblait. Petit à petit son anxiété passa, comme ils s’éloignaient de la Terre et approchaient du point de saut. Il ne semblait pas y avoir de panique sur Terre, aucune calamité « espion de l’Empire » ne fut annoncée et son retrait du gouvernement de la Fédération était passé inaperçu. Comme ils approchaient du point de saut, Sophie se retira dans sa cabine et prit sa dose de quittoline et respira une prière au Dieu qui veillait sur tous les voyageurs du saut. Comme le klaxon intérieur annonçait l’entrée dans l’hyperespace, Sophie remercia son esclave. Elle se demanda pour la première fois si la fille aimerait travailler pour la Fédération autant qu’elle avait aimé conspirer contre elle. Elle se pencha en arrière et se prépara pour le non-temps en hyperespace et comme elle quittait les limites du système de la Terre, elle songea que c’était toujours un plaisir lorsqu’un plan marchait comme prévu.


 

Tout ce qui brille...

(David Massey)

 

L’Atmosphère à l’intérieur du bar était tellement épaisse qu’elle aurait pu être coupée au laser. Un brouillard de fumée et de mauvaise haleine pendaient dans l’air comme un nuage et les efforts poussés du vieux juke-box cassaient les oreilles de ceux qui étaient encore suffisamment sobres pour écouter. Les séquences, répétées maintes fois, d’un des premiers disques de Roving Eye sonnaient autour de la pièce, remplissant les oreilles de sons assourdissants venus de l’ère pré-spatiale.

Le barman se demanda pourquoi la musique était toujours si populaire. Elle datait de plusieurs siècles et pourtant elle était remise à la mode régulièrement tous les cinquante ans — voilà ce qu’ils appelaient les fantaisies de la mode. Alors que le barman se déplaçait méthodiquement le long de la rangée de verres, les remplissant ou les nettoyant selon ce qui était nécessaire, les lumières éblouissantes se reflétaient dans ses formes de chrome luisantes. Jaques n’était pas suffisamment vieux pour se souvenir du groupe d’origine, même si certains clients réguliers pensaient le contraire. Il était né trois cents ans avant et depuis deux cent soixante-dix ans il avait été un cyborg. Parfois il se demandait s’il y avait quoique ce soit d’humain en lui.

Les mains en métal de Jaques se déplaçaient sans hâte, nettoyant, versant et recevant de l’argent. C’était l’heure creuse, la deuxième période de la journée avait commencé et la première période avait terminé la tournée initiale de désaltération et ils étaient rentrés chez eux. Le chantier naval était en pleine effervescence et les seuls clients étaient tous alcoolique à long terme, les drogués ou d’autres débris du port spatial. Ses yeux fluorescents pénétraient facilement la fumée des différentes drogues dans le bar et ses oreilles étaient sur bas volume de façon à ce que la musique ne le distraie pas. Jaques n’était pas enchanté d’avoir de la drogue dans son bar, sauf la variété liquide, mais tant que le tabac et les autres narcotiques étaient encore légaux sur Topaz, ils seraient vendus dans tous les bars de Peters Base.

Jaques n’était plus complètement humain, mais il était heureux, à chaque fois qu’il pensait à mettre en marche ses émotions, pour profiter au maximum de toutes les faiblesses de l’humanité.

La porte du bar s’ouvrit pour laisser pénétrer un courant d’air frais. Il se déversa dans le bar, créant un vide dans le brouillard de fumée. Il sembla errer pendant un moment, apparemment tout étourdi d’avoir quitté le port spatial et d’être entré dans la pièce humide. Il flotta dans le bar pendant quelques minutes puis abandonna la lutte inégale et disparut dans le brouillard général. Un homme était entré avec l’air et il avança d’une enjambée voûtée vers la partie la moins animée du bar, faisant signe pour obtenir à boire.

« Qu’est ce que vous prendrez Duke ? » demanda Jaques, alors que ses mains prenaient une bouteille du meilleur Grainer pour en verser un verre.

« Un Grainer », grogna l’homme au bar alors que Jaques faisait passer le verre moussant dans sa main. Avec un mouvement de surprise, l’homme regarda avec insistance le visage du cyborg.

« Comment avez-vous fait cela ? Je viens juste de commander ».

« N’étiez-vous pas ici il y a environ dix mois ? » demanda Jaques, en même temps que ses circuits de mémoire lui rappelaient qu’il y avait dix mois, sept jours et quatre heures qu’il avait vu cet homme pour la dernière fois et treize mois, quatre jours et six heures qu’il était entré pour la première fois dans le bar sur Peters Base.

« Hum, quelque chose comme ça mais comment vous souvenez-vous ? »

Jaques sentait une longe conversation approcher et d’un ajustement interne rapide, il baissa le juke-box. « Ce n’est pas quelque chose que je peux facilement éviter ! » Les cyborgs n’avaient pas la particularité de pouvoir se crisper, mais l’homme sentait du cynisme derrière les mots, même sans le sourire désabusé qui aurait dû l’accompagner.

« De quel modèle êtes-vous ? »

« Nous, cyborgs, ne considérons pas cela comme une question polie, vous savez. C’est comme demander votre empreinte génétique ou votre fiche d’impôt. »

L’homme au bar recula comme s’il avait piqué. « Je suis désolé, je ne savais pas. Je ne voulais pas vous blesser. »

« Il n’y a pas de mal. En fait, j’ai tellement de parties différentes qu’il est difficile de dire qui ou qu’est-ce que je suis. » Il leva une main et l’examina pensif tout en la tournant dans les lumières oranges du bar. « Je crois que ce morceau est d’origine » — il s’arrêta pour l’effet. « C’est un Quinentis quatorze. »

Comme l’homme ne répondait pas, Jaques ressentit un éclair rapide qui ressemblait à de la colère — la chair humaine normale oubliait si vite.

« Les Quinentis quatorze combattirent à Hell’s Gate pour la Fédération. J’ai été incorporé parmi eux. »

« Hell’s Gate ? Mais c’était il y a des siècles. Sûrement vous n’avez pas. »

« Oh, si j’ai cet âge là, » l’interrompit Jaques. « Ou du moins les trucs et les morceaux les plus vieux. La partie humaine en moi avait cet âge là. Je ne suis plus si sûr maintenant. »

« Alors comment se fait-il que vous soyez ici, dans l’Empire ? Je ne peux pas croire qu’ils aiment avoir un vétéran de Hell’s Gate courir partout sur Topaz. » Dès qu’il eut prononcé ces mots, l’homme réalisa ce qu’il avait fait. Autoriser un barman à raconter sa vie était une façon certaine de passer la journée à boire sans arrêt, mais qu’import, il n’avait rien de mieux à faire toute la journée et il avait l’intention, de toute façon, de noyer ses malheurs.

« C’était il y a bien longtemps, vous devez vous rappeler de ça, » commença Jaques. « La Fédération et l’Empire étaient presque à couteaux tirés en ce temps là, pas calmes comme ils le sont maintenant. »

L’homme au bar fit entendre un léger grognement. Il était passé par suffisamment d’incidents dans les zones contestées pour réaliser que ni la Fédération ni l’Empire n’était aussi content que leurs stations de propagande voulaient bien le faire croire. Jaques ignora l’interruption mineure et continua.

« En ce temps là si vous étiez au chômage et citoyen Fédéral, vous deviez travailler dur pour éviter le contingent. J’échouai. Mes trois années au chômage prirent fin et l’armée m’attrapa. J’échouai le test médical initial donc ils me changèrent en cyborg ! Remarquez, en ce temps là l’Empire transformait les gènes de leurs soldats, donc j’ai sûrement hérité de la meilleure offre.

« C’était une époque intéressante. La plupart des planètes locales avait été atteintes, mais elles n’étaient pas aussi dociles qu’elles le sont maintenant. Nous nous sommes souvent trouvés ayant le monde entier comme adversaire en même temps que les troupes de l’Empire. Pour dire la vérité, nous nous admirions. J’ai eu deux rencontres contre les manipulateurs sur un nombre de mondes différents et c’était des types vraiment mauvais, je peux vous le dire.

« J’ai toujours été loyal à la Fédération, vous comprenez. Mes circuits me laissent même à penser différemment. Je crois comprendre que l’Empire avait des moyens similaires pour s’assurer de la loyauté des manipulateurs. Mais après la bataille de Hell’s Gate, ma section se retrouva derrière les lignes ennemies et nous fûmes capturés lorsque notre vaisseau transport ne fut pas au rendez-vous.

« Comme tous les autres prisonniers, j’étais protégé sous le traité de Valhalla, mais après Hell’s Gate nous étions tous en mauvais état. Les ingénieurs de l’Empire en ont bien profité pour me démonter et leurs chirurgiens ont joué leurs rôles pour me remonter. Cela prit quatorze mois pour me remettre en un morceau et même après cela, de grandes parties étaient de pur remplacement. » Jaques leva son bras gauche et remonta sa manche pour révéler un ajout métallique bleu clair, de toute évidence différent du métal argenté lisse de sa main et de son poignet. « Même maintenant ça me tiraille quand il pleut. » Jaques n’eut aucun problème à garder l’air sérieux en disant ces mots. Il fallait environ un jour à un auditeur pour réaliser qu’il ne pleuvait jamais sur la station orbitale.

« Je devais faire parti d’un échange standard de prisonniers de guerre, mais les généraux réalisèrent que j’avais été bricolé par les chirurgiens de l’Empire, ils ne voulaient rien savoir. La Fédération venait juste de réaliser l’avance que l’Empire avait dans la recherche génétique et ils étaient morts de peur de laisser entrer une peste latente. C’était arrivé dans un ou deux mondes avant, donc tous ceux qui revinrent furent mis en quarantaine. Ils estimèrent qu’il me faudrait vingt ans avant d’être sans danger. Peut-être avaient-ils raison, je ne pourrais vous dire, j’ai simplement décidé de rester dans l’Empire.

« Il m’a fallu marchander dur, je vous le dis. La Fédération me considérait comme leur propriété, j’étais un appareil de haute-tech pour l’époque. A ce moment là, la paix de Guvenour avait été négociée et donc les techniciens de la Fédération pouvaient venir et désactiver un ou deux mauvais trucs en moi. Tout ce qui restait à faire était de convenir d’un prix pour me laisser partir. »

L’homme au bar eut un sursaut. « Mais vous étiez un citoyen de la Fédération, n’est-ce pas ? Il n’y avait pas d’esclavage dans la Fédération, alors comment pouvaient-ils vous vendre à l’Empire ? »

« Oh, ils n’essayaient pas de me vendre à l’Empire ! Ils voulaient me revendre à moi-même. Rappelez-vous, j’étais un des premiers cyborgs réussis et ils voulaient me garder dans leur poche — les secrets officiels et tout ça. Mais après Hell’s Gate et le travail de reconstruction, il était difficile de dire ce qui restait de moi. Différents experts et avocats déclarèrent qu’entre un demi-litre et un quart de mon corps était d’origine organique, le reste était du bricolage soit de la Fédération soit de l’Empire. Ils m’ont fait payer pour toutes les modifications ! »

Il y avait de l’amertume dans les paroles du cyborg et l’homme au bar se demanda ce que le cyborg avait subi à ce moment là pour avoir rendu sa mémoire si amène après tout ce temps. Il prit son verre et réalisa qu’il l’avait encore vidé. D’un geste résigné, il en demanda un autre. Jaques glissa vers la bouteille pour la reremplir.

« Comment avez-vous fait pour finir ici ? » L’homme le rappela.

« Il s’est avéré que les types de la Fédération avaient raison concernant le rafistolage de l’Empire. » Jaques tourna sa tête d’un angle impossible pour répondre tout en continuant à verser la bière. L’homme cligna des yeux et se souvint qu’il n’avait aucune idée de la façon avec laquelle le cyborg était assemblé.

« Deux ans après avoir quitté le camps de prisonnier de guerre, après avoir réglé la question d’argent, j’ai eu besoin de nouvelles manipulations génétiques pour fixer une mauvaise maladie. Lorsque j’ai reçu le traitement, l’Empire m’a facturé pour les soins médicaux. Ça m’a pris plus de cent ans pour m’acquitter en travaillant des contrats de la Fédération et de l’Empire, pilotant des vaisseaux, nettoyant des réacteurs. Des boulots dangereux qui ne pouvaient pas être faits par des humains ou des robots ou des androïdes. Ce temps là est fini maintenant, Dieu merci, de toute façon je ne suis plus en condition de faire ce genre de travail. »

L’homme au bar leva les yeux d’un regard interrogateur. « Que voulez-vous dire ? » De toute évidence, la phrase avait été un appât, mais l’histoire du barman était intéressante et ses propres mésaventures semblaient disparaître dans l’obscurité au fur et à mesure qu’il écoutait.

« C’était lorsque je faisais du mouillage de mines d’astéroïdes, détaché à une Corporation de l’Empire — Gutamaya, je crois. » Jaques savait que sa mémoire était prête à lui donner tous les détails, l’heure, la date, le nombre d’heures travaillées et le personnel de la société, mais il avait découvert que les humains préféraient le manque de précision aux détails dans des questions comme celles-ci.

« J’avais presque fini de payer mes dettes et j’étais prêt ç m’installer à mon compte. Ce dernier boulot devait compléter le tout. Je minai un petit planétoïde. L’avantage d’être un cyborg est que votre équipement de vie est bien plus petit que celui d’une personne normale, donc c’est moins cher d’installer une petite mine — je suis beaucoup plus intelligent que vos robots de mines normaux, je peux vous le dire.

« Il s’est avéré que la planète avait plein de volatils à l’intérieur des roches en surface, couvrant de larges dépôts radioactifs. Mes lasers miniers déclenchèrent une explosion de roches et je fus couvert de radioactivité. J’envoyai mon signal de détresse mais avant que la Corporation ne me trouve les dégâts étaient faits. J’ai perdu mes deux jambes dans cette escapade. »

« Je n’aurai pas cru que cela soit un problème pour un cyborg. Ne pouviez-vous pas en acheter une autre paire et remplacer celles que vous aviez perdues ? »

« C’est ce que je croyais aussi. J’avais pris une bonne assurance juste en cas d’accident comme celui-là. Malheureusement, il n’y avait pas que mes jambes qui étaient perdues. Une partie de mon cerveau fut effacée au même moment, donc même si j’avais eu une nouvelle paire de jambes, je n’aurais pas pu les utiliser. »

La porte du bar s’ouvrit pour laisser entrer un autre buveur matinal qui s’en alla à l’extrémité du bar et fit signe qu’il voulait boire. Jaques s’éloigna en douceur pour le servir et l’homme profita pour regarder par-dessus le bar. Jaques se tenait sur un cylindre de métal lisse qui s’arrêtait à la place de sa taille et des rails étroits passaient sous le socle. Les rails faisaient toute la longueur du bar. L’homme se rassit et regarda autour de lui et, effectivement, caché dans le sol de la pièce se trouvaient des rails similaires pour que le cyborg puisse atteindre toutes les tables pour ranger. L’homme jeta un coup d’œil au bar et sourit en voyant que tout en parlant, Jaques avait continué à nettoyer les verres — une petite pile de verres impeccables se trouvait sur le côté.

Un verre de bière tomba en place devant l’homme. Il se retourna pour voir Jaques jeter la bouteille vide dans un seau à recyclage et commencer sa glissade de retour.

« Lorsque vous avez travaillé ici aussi longtemps que moi, vous devenez assez précis, » expliqua le cyborg.

« Mais comment avez-vous atterri ici ? Servant derrière un bar sur une station orbitale autour de Facece ? »

« Les meilleurs mécaniciens de l’Empire ! » Jaques inconsciemment augmenta le volume sur le juke-box qui commençait à jouer un morceau de Jjagged Bbanner. Il avait un vidicube dédicacé du groupe datant de leurs débuts et il aimait toujours la musique. La lumière émit une impulsion violente au son de la musique, formant des ombres étranges dans la pièce alors qu’il se retournait pour finir son histoire.

« J’en ai eu marre des vols spatiaux et du mouillage de mines. L’assurance médicale suffit à payer le reste de mes frais et je voulais un endroit pour m’installer. J’ai choisi de venir ici parce qu’en ce temps là, Topaz était le seul monde de l’Empire à avoir des techniciens corrects, et je ne voulais pas avoir à faire à la Fédération. Ils construisirent la première station orbitale à cette époque là et j’ai demandé d’être inclus dans les plans du port d’étoiles.

« La Fédération et l’Empire étaient en paix alors et cela amusa certains planificateurs d’inclure un vétéran de guerre d’un siècle avant, dans la conception du port d’étoiles. Ils m’ont offert un boulot comme barman et j’ai accepté. C’était il y a plus de deux cents ans et je suis resté ici depuis.

« Mais assez parlé de moi, c’est votre tour. Boissons gratuites pendant que vous racontez votre histoire ! »

L’homme fit entendre un long soupir théâtral et se pencha en avant sur le bar.

« Vous êtes sûr que vous voulez entendre cela ? Je ne suis pas un homme heureux en ce moment. » Jaques fit solennellement un signe positif de la tête, comme s’il y voyait son devoir d’écouter l’homme après lui avoir raconté l’histoire de sa vie. L’homme fit un autre signe et vida son verre, puis attendit que Jaques revienne avec un plein avant de continuer.

« Je suis le Capitaine du Nerver Too Late, » se présenta l’homme. « André Capatot. Le Never est un cargo jonque, classe Lion et ça a toujours été un bon navire pour moi dans le passé. Mais cette dernière année a été dure.

« J’avais assez bien réussi en tant que marchand standard, commençant avec un simple petit navire — un Cobra — et, de là, me hissant vers le haut. Il y a sept ans j’ai obtenu le Never et j’ai payé la dernière traite en environ trois ans. Depuis lors j’ai pensé que je pouvais m’orienter vers le haut de gamme, installer quelques services supplémentaires dans le navire et transporter de la marchandise de plus grande valeur. La première chose que je fis fut d’installer une suite pour passager, puis je fis pressuriser la cale pour pouvoir transporter une gamme plus large de marchandise.

« Le côté passager sembla marcher très bien. Cela peut payer de façon adéquate tant que vous essayez de le garder légitime, mais vous ne pouvez pas toujours être sûr. Je crois que je me suis fait piquer avec un de mes premiers passagers, une fille venant de la Terre qui voulait aller dans l’Empire. J’ai fait le voyage en un temps raisonnable mais quand je suis revenu dans l’espace de la Fédération, ils ont passé mon navire au peigne fin. Je n’ai jamais su ce qu’ils cherchaient mais j’ai perdu beaucoup de temps et le temps c’est des crédits dans mon jeu.

« Après cela, je n’ai jamais été heureux dans la Fédération, donc j’ai travaillé entre les mondes de l’Empire. Vous savez, j’étais basé à Quince pendant un temps, courant entre Emerald et le système d’Hoarla, New America et Jeffries High à Quince, escales à Chekov sur l’héritage de Chester en Ethveeth, voyages occasionnels dans les mineurs du système Canayze ou dans les nouvelles colonies du système d’Arexack. J’ai rencontré un type sur la base de Dickens à Vequess qui m’a convaincu d’emmener un chasseur vers Home dans le système Bedaho, vous connaissez ? »

Jaques fit un bref signe de la tête. Il avait naturellement accès à des données avec tous les renseignements concernant chaque planète et chaque système de l’espace humain, mais il ne voulait pas lui gâcher son histoire à cause de ses renchérissements électroniques. Durant toutes ces décennies il s’était habitué à écouter sans interruption non-voulue.

« C’est un sacré voyage de Vequess à Bedaho, un long chemin pour un cargo crevé comme le mien. »

La liaison de Jaques fit jaillir les chiffres non-voulus : Bedaho 36,62 années lumières de Vequess : type « K » : 1 planète habitable… Il éteignit le reste des renseignements alors qu’ils s’écoulaient dans son cerveau, ce concentrant sur ce qu’André disait.

« J’ai pris mon chasseur ici sur Topaz, la dernière fois que j’étais là. Puis Anyeth, Cemiess, cd46-1150, Arcturus, Altair, Quzece, Bedaho et de retour. » La litanie de systèmes d’étoiles était une sténographie de marchands familière pour les mois de voyage et les transactions intérimaires. « Pas de saut au-dessus de 16 années lumière pour être en sécurité. Pas de problème pour aller à Bedaho, un séjour tranquille pendant que mon passager profita de sa chasse dans un des pavillons de la planète et j’ai continué avec un peu de spéculation sur le marché des valeurs. Mettre les animaux à bord ne fut pas non plus un problème. Major Griddley — c’est le chasseur — avait réglé net tous les documents. Mais mon Dieu, avez-vous déjà piloté un transporteur avec une cale remplie de cargaison vivante ? L’odeur est terrible. Aucune quantité de produits de nettoyage de l’atmosphère ne peut se débarrasser complètement de l’odeur. Avez-vous déjà eu un chasseur de gros gibier comme passager ? Après un certain nombre de fois je ne pouvais plus supporter la description d’une chasse. J’ai cru que j’allais lui en planter une à tout moment sur le retour.

« Et que s’est-il passé alors ? Juste sorti du saut entre Cemiess et Anyeth ? » André fit une pause pour l’effet. Jaques pouvait deviner ce qui allait suivre, mais il laissa l’homme le raconter à sa manière.

« On s’est fait attaquer par des pirates merdiques, voila ce qui s’est passé ! »

Pour souligner son point, l’homme descendit son verre de bière d’un trait, poussant le verre sur la surface avec une force saoule. Jaques mesura le taux d’alcool que le voyageur spatial avait, mais il décida qu’il ne serait pas un problème et lui versa une autre Grainer, cette fois-ci sa tête resta tournée vers André, mais le reste de son corps pivota. La plupart des clients trouvait cet exploit de dextérité mécanique déconcertant, mais André était trop préoccupé par son histoire.

« Ils avancèrent en formation étoiles, une manœuvre de pirates classique. Quelle chance avions-nous ? Juste quand je croyais que le voyage allait faire un bon profit. » Son poing fit un bruit sourd en heurtant le bar pour souligner son argument, faisant sauter le verre et renversant de la mousse sur le comptoir.

« Je n’ai rencontré une opposition de pirates sérieuse que six fois dans toute ma carrière. Trois fois je fus capable de me battre contre eux. Vous savez, une fois, un seul crétin dans un petit Cobra III merdique essaya de me rouler ! Ha ! Il a eu un sacré choc !

« Mais ça c’était différent, un seul coup d’œil sur ceux là me suffit pour savoir que c’était fini. J’ai reconnu le vaisseau principal comme étant le Darling Hanson — vous savez qu’il a ce code de communication très caractéristique. J’avais beaucoup entendu parler de la bande à Hanson — vous savez ce que c’est les commérages de bar. « Pas de capitulation pour Hanson ». Il s’est fait une sacrée réputation. »

« J’ai entendu dire qu’il y a une récompense offerte pour l’homme, des chasseurs de prime partout cherchant un bon tuyau, » Jaques introduisit un petit commentaire, interrompant le flot. Lorsqu’il eut l’attention du marchand, le cyborg fit un signe de tête à une femme dans un coin du bar.

« Les chasseurs de prime sont peut-être prêts à payer un paquet pour un indice convenable sur Hanson ou sur un de ses membres d’équipage. » Jaques posa une main dominante sur le bras d’André comme l’homme tentait de s’éloigner du bar.

« Ne vous inquiétez pas pour ça maintenant, continuez votre histoire. Elle vient régulièrement et ne va pas s’en aller tout de suite. »

« Bien, OK. Où en étais-je ? »

« Sur le point de me dire comment vous aviez échappé à Hanson. Il n’est pas connu pour laisser les marchands glisser entre ses doigts. »

Un sourire ouvrit le visage du négociant et il sembla devenir plus joyeux à l’idée de ce souvenir.

« Non, il n’est pas renommé pour sa disposition amicale. » Un grognement de rire échappa des lèvres de André. « Je doute qu’il ait été plus heureux d’acquérir son dernier butin que j’étais de le perdre.

« Il était évident que les pirates ne nous laisseraient pas partir sans nous piller, et mon vaisseau n’était pas de taille à affronter les leurs. Nous ne pouvions pas tous les battre ou les distancer et la capitulation n’était pas une considération avec cette horreur les menant. Mais que pouvais-je faire ? » La question était de toute évidence rhétorique et Jaques laissa passer avec un mouvement de tête rapide.

« J’ai jeté mon cargo trois fois dans ma carrière — c’est une des raisons pour laquelle il m’a fallu si longtemps pour passer du Cobra au Never Too Late. Ça distrait toujours les chasseurs tant que la cargaison semble en valoir la peine. »

« Mais je croyais que vous transportiez du cheptel lors de votre dernier voyage ? Ne me dites pas qu’un pirate pense que de la viande morte vaut plus que votre vaisseau ? » Jaques était surpris une fois encore et le laissa entendre dans le ton de sa voix.

« Ah, mais vous oubliez — nous revenions juste de Home, dans Bedaho. C’est de là que viennent les peaux d’or. » Il donna à Jaques une seconde pour digérer l’information.

« Vous voulez dire que vous — »

« Ouais, nous avons rasé la fourrure des animaux et envoyé une photo de la cale à Hanson. Il vit une cale pleine d’or ! Alors, une cargaison de viande animale ne vaut peut-être pas grand-chose, surtout si c’est espacée dans le vide, mais un volume équivalent d’or vaudrait la peine de s’arrêter.

« Nous avons prétendu être des courriers pour la Quatrième Province Catholique de Exioce, juste sortis de la colonie d’O’Rourke. Cela semble un peu maigre maintenant, mais le Major et moi ne pouvions rien trouver de mieux dans un délai si bref. Dès la réception de notre message nous avons descendu l’aire de chargement du cargo et jeté le tout dans l’espace, puis nous sommes partis en courant dans l’autre direction. »

« J’en déduis que vous vous en êtes sortis indemnes ? »

« Je ne dirais pas indemnes. Nous avons quand même eu un duel rapide avec l’un des pirates, mais le Major s’avéra être aussi bon avec un Phlaschbugher qu’avec un fusil de chasse. A ce moment là il était aussi content que moi de leur avoir échappé en un morceau, mais ni lui ni moi n’était très content quand nous avons atterri et nous ne nous sommes pas séparés en très bon termes. Mais j’aurai aimé voir la tête d’Hanson quand il a récupéré la première de ses statues en or ! »

Jaques mis en marche ses circuits d’émotion et se laissa glousser de l’amusement de l’autre.

« Alors qu’allez-vous faire maintenant ? »

« Je me débarrasse de mes cabines de passagers, de la climatisation dans ma cale. Je reviens au commerce des cargaisons moins vulnérables, celles qui ne répondent pas. »

« Donc c’est pour ça que vous êtes ici à Topaz ? »

« C’est exact. Comme vous dites, les meilleurs mécaniciens de l’Empire. C’était vrai il y a deux cents ans, c’est toujours vrai maintenant. J’améliore le Never Too Late pour pouvoir faire de plus longs sauts, c’est le seul moyen d’avancer dans ce commerce et je sais que j’obtiendrai une bonne affaire ici. Qu’est-ce qui vous garde dans ce bar ? Ne pourriez-vous pas trouver quelque chose de mieux à faire, même si vous voulez rester sur Topaz ? » André sentait qu’il avait assez parlé. C’était le moment de donner au barman une autre chance.

« Mais je ne veux pas rester sur Topaz, je veux simplement les équipements de l’orbite. » Jaques avait un regard étrange qui étonna l’homme. Il semblait y avoir des informations qu’il gardait pour lui, quelque chose comme une plaisanterie privée.

« Vous voyez », continua le cyborg, « ça fait plus de deux cents ans que je suis ici, j’ai payé mes dettes depuis longtemps et je commence juste à aimer cet endroit. Tellement que j’en possède la moitié. »

« Vous voulez dire que vous possédez la moitié de ce bar ? » André était perplexe. Il avait assumé que le cyborg était le propriétaire de tout le bar. Il semblait certainement suffisamment prospère.

« Non, je veux dire que je possède la moitié de la station. » Le cyborg donna à André une chance d’absorber l’information.

« Je suppose qu’il me faudra encore cinquante ans pour acheter le reste de cet endroit et dix autres pour l’équiper d’un nombre suffisant de moteurs. » Le bafouillage choquant d’André détourna pendant un moment l’attention du cyborg. Il essuya la bière de sa veste et du bar comme il continuait : « J’ai une envie de voir encore l’univers, vous voyez. Je crois que je ferai ce qu’Augustus Brenquith fit, m’envoler dans l’inconnu et explorer de nouveaux systèmes. Mais j’aime aussi les gens, donc dans soixante ans environ il y aura une invitation : Quiconque veut venir peut se joindre à moi dans ce long voyage. « Si vous êtes toujours dans les environs et intéressé, venez vous engager. Je n’oublie jamais un visage. »

André resta planté silencieux et assommé pendant un moment, ses propres malheurs et son histoire oubliés. C’était une aventure qui allait se faire ! Soixante ans n’était pas trop long à attendre et les traitements modernes signifiaient qu’il pouvait largement vivre encore cent ans ou plus. Il pourrait même prendre un traitement cyborg. Mais une chose le laissait encore perplexe.

« Si vous avez tellement envie de voir l’espace et que vous possédez la moitié de la station, pourquoi ne pas vendre et vous acheter un beau vaisseau pour partir tout de suite ? »

« Oh, je ne pourrais pas faire ça ! » s’exclama Jaques. « J’ai investit trop de choses dans cet endroit. J’ai besoin de son équipement pour mes réparations et je suis très confortable ici. » Il descendit son regard vers la base cylindrique, emboîtée dans les rails du sol.

« Vous pourriez même dire que je me suis attaché à cet endroit. »


 

La créature la plus féroce sur Altair

(David Massey)

 

Il pleuvait à sceaux. Les trombes assourdissantes rebondissaient de la cime des arbres et filtraient à travers la végétation dense avant de toucher le sol. Le petit groupe se frayait un chemin à coups de machette dans la jungle luxuriante, en maudissant le temps et l’humidité tenace. Vêtements et matériel étaient trempés, non par la pluie qui faisait rage au-dessus, mais par la sueur qui ruisselait des corps et le brouillard dense qui montait de la bourbe épaisse sous leurs pieds.

A l’exception de Grossman, tous se sentaient lourds et avançaient difficilement, mal adaptés qu’ils étaient à la forte pesanteur de Biggs Colony. Le gazouillis des oiseaux et les stridulations des insectes remplissaient l’air, rivalisant avec le martèlement de la pluie et anéantissant tout espoir de conversation parmi les cinq êtres humains. La femme à la tête de la colonne, finissant par abandonner, leva la main, pour l’abaisser aussitôt afin d’éviter une fronde végétale. Elle jeta un rapide coup d’œil sur la plante coupable et, ayant vérifié qu’il ne s’agissait pas d’une des nombreuses variétés vénéneuses, leva à nouveau la main en signe d’arrêt.

Les autres membres du groupe examinèrent soigneusement le sol autour d’eux afin d’identifier les endroits qui leur paraissaient sûrs avant de s’y asseoir. Tous, sauf Helmut, qui s’effondra tout bonnement sur le sol et demeura dans cette position, pantelant.

« Eh, toi ! Hop, debout ! Il n’y a pas de temps à perdre. Il faut monter la tente ! », cria le Colonel Griddley au jeune garçon, qui, de mauvaise grâce, se releva du sol boueux, se débarrassa de son énorme sac à dos et commença à attaquer les broussailles environnantes à coups de machette. Un sourire se dessina sur les lèvres du Colonel. Quelques voyages de plus et le garçon se débrouillerait sûrement très bien. A présent, il était plein de rancœur, mais il en allait de même pour la plupart des nouveaux esclaves. Très vite, il s’habituerait à la routine et l’accepterait sans broncher.

Les autres flânaient à gauche et à droite, transpirant dans la chaleur moite de la jungle. Ils se méfiaient des insidieuses rampantes qui habitaient la planète. Ils attendirent avec divers degrés de patience que Helmut eût terminé de dresser l’abri, mais aucun ne fit un mouvement quelconque pour l’aider. Tous considéraient la tâche comme indigne d’eux. Ils avaient bien d’autres choses à penser.

Officiellement, c’était Angela Bhramanatha qui dirigeait le groupe. Mais, comme tous les autres, elle reconnaissait la supériorité du Colonel sur le terrain. C’était elle qui finançait cette expédition et elle se sentait responsable du groupe. C’était également elle qui avait le plus à perdre si la chasse n’était pas bonne. Pour se procurer des permis de chasse auprès des autorités de Reaganville, elle avait dû jouer de ses relations et obtenir des faveurs inhabituelles. Elle ne voulait pas gaspiller tout ce temps et tous ces efforts.

Angela avait sélectionné son équipe avec le plus grand soin. Helmut accompagnait le Colonel et, bien qu’elle ne fût pas en faveur de l’esclavage, contrairement à Griddley, de toute évidence, tous les papiers étaient en règle et certifiés par les vassaux de l’Empire concernés. Il était utile de disposer de quelqu’un qui obéissait aux ordres et exécutait les gros travaux, même s’il paraissait vraiment très jeune. Elle écrasa inconsciemment un insecte qui lui frôlait la joue et réalisa son acte juste à temps. Sur cette planète, il y avait bien des créatures rampantes et volantes dangereuses — et même des plantes. Mais souvent, elles ne constituaient pas de menace tant qu’elles étaient vivantes. Le venin de la quasi-totalité des insectes était venimeux, mais la plupart d’entre eux ne piquaient que lorsqu’ils étaient attaqués. Sur Biggs colony, écraser un insecte, réflexe normal sur la Terre, était la chose à ne pas faire.

Elle jeta un coup d’œil en direction de Benjamin Grossman, seul indigène de leur groupe, qui leur servait de guide. Il semblait posséder tout son sang-froid dans la jungle, transpirant à peine et laissant les insectes ramper librement sur son visage et ses vêtements. Ils piquaient rarement les hommes. Quelque chose dans la sueur de ces derniers leur disait que la chair et le sang venus de l’autre monde ne leur étaient pas bénéfiques. Il y avait certes bien des choses sur cette planète qui étaient dangereuses pour les humains, mais, pour les animaux indigènes, rien n’était plus toxique qu’une bonne dose de protéines terrestres.

Elle savait que, sur la planète, Benjamin n’était qu’un simple fermier, travaillant sans doute dans l’une des gigantesques plantations. C’étaient les autorités qui l’avaient recruté pour elle et elle n’avait pas pu faire autrement que d’accepter leur choix. Heureusement, il s’était révélé compétent dans son rôle de guide et les orientait à travers la jungle avec assurance. A une ou deux reprises, ils auraient probablement été victimes de la végétation locale sans les conseils opportuns de Benjamin. C’était aussi un très bon traqueur, mais pas de la trempe du Colonel cependant. Ils avaient déjà attrapé trois igaunalads et une bête de Finlay, qui étaient maintenant parqués en vue d’être expédiés sur Tau Ceti, où les attendait un riche client.

Grossman, appuyé contre un gnarla, releva les yeux dans sa direction et sourit d’un air entendu. Il la rendait parfois un peu mal à l’aise, sans qu’elle eût su dire pourquoi. Sentant ce regard fixé sur elle, Angela dut détourner les yeux. Elle vit le Colonel penché en avant, en train d’allumer sa pipe avec un briquet, et elle réprima un éclat de rire. Le colonel était un merveilleux anachronisme. Chaque once de son corps exsudait une finesse militaire d’une époque révolue. Il portait même de ridicules vêtements beiges, à la coupe incroyablement démodée. La pipe complétait parfaitement le tableau.

Elle avait eu de la chance en se procurant ses services. Elle avait passé une annonce pour un chasseur expérimenté et, d’après ce qu’on lui avait dit, il avait annulé une partie de chasse sur un monde proche pour pouvoir se mesurer aux animaux qui habitaient Altair. Certes, elle savait qu’il vivait pour la chasse et que l’obtention de permis autorisant à chasser sur Altair était un privilège d’une grande rareté, mais elle se sentait flattée par le fait que Maxwell Griddley avait décidé de se joindre au groupe. Elle n’avait pas prévu l’esclave, ni le jeune technicien au service de Griddley, mais ils avaient permis de compléter le groupe. Et il ne revenait guère plus cher de loger et de nourrir trois personnes plutôt que deux.

Walter M’banwe, le technicien de Griddley, était le cinquième membre du groupe. Il était chargé de s’occuper des armes et de l’équipement vidéo des chasseurs. M’banwe avait trois diplômes des universités technologiques de la Fédération. Il était donc dûment qualifié pour s’occuper de l’équipement sophistiqué utilisé dans le cadre de cette expédition. Elle avait hésité à emporter les caméras, mais le Colonel lui avait donné l’assurance que les droits vidéo liés l’expédition rapporteraient sans doute davantage que les animaux capturés. Cela lui avait demandé deux jours, mais, à présent, elle remarquait à peine les discrètes sphères vidéo qui se déplaçaient avec eux, sur les côtés et à l’arrière. Le ronronnement tranquille de leurs moteurs ne pouvait certes pas déranger les proies, avec tout le vacarme produit par la jungle elle-même et la pluie incessante.

« Qu’en dites-vous, Colonel ? », demanda-t-elle en criant pour couvrir le grondement de la pluie. « Cela vaut-il la peine de continuer aujourd’hui ou allons-nous camper ici ? Et vous, Benjamin, qu’en pensez-vous ? »

Grossman pointa l’index en direction de son oreille pour indiquer qu’il n’avait pas entendu et Angela répéta sa question en criant. Benjamin haussa les épaules en signe d’indifférence, mais Griddley ôta la pipe de sa bouche et secoua négativement la tête.

« Non, il va encore faire jour pendant deux heures. Nous allons faire une pause d’une demi-heure puis continuer. Il semble bien que nous soyons sur une bonne piste ; Je ne voudrais pas la perdre dans l’obscurité. »

« Quel fichu imbécile ! Il aurait dû amener ses lunettes de nuit », marmona M’banwe en arrangeant ses télécapteurs pour couvrir le mieux possible ce campement improvisé. On ne savait jamais quand un incident imprévu intéressant à filmer allait se produire et il avait trop d’expérience pour laisser passer l’occasion.

Les ordres de Griddley se firent à nouveau entendre. « Hé, dis donc ! Essaye de trouver de l’eau fraîche ! Et n’oublie pas les cachets purifiants cette fois ! » Il hocha la tête en signe d’approbation, comme à lui-même, en voyant l’esclave se mettre à la recherche des sacs en plastique sans trop rechigner et les accrocher correctement aux branches basses. Le garçon apprenait vit et il appréciait les récompenses. Il ferait un bon chasseur.

« Bon, tout le monde ferait bien de prendre son comprimé de sel », dit-il à voix forte. Il en prit lui-même un pour montrer l’exemple. La chaleur et l’humidité de la jungle pouvaient saper les forces, mais le pire, c’était de perdre de précieux sels minéraux en transpirant. La faune indigène était pauvre en certains minéraux importants pour les hommes et toute la population locale prenait régulièrement les apports nécessaires pour se maintenir en bonne santé. Pour toute expédition dans les profondeurs de la jungle, il fallait prévoir tout ce que la faune locale ne pouvait fournir.

L’expédition plaisait énormément à Griddley. Songeur, il caressait sa barbe grisonnante en réfléchissant au reste de la journée de chasse. Il avait parlé à Benjamin et était presque certain que le beffix serait traqué ce soir même. Avec les autres animaux déjà capturés, il ne restait plus qu’à attraper un ou deux oiseaux pour atteindre leur quota. Bien qu’il pût avoir des occupations variées, c’est dans son rôle de chasseur de gros gibier qu’il se sentait le mieux. Le personnage de Maxwell Griddley lui avait bien servi au fil des années. Ses grades militaires, inventés de toutes pièces, avaient progressé avec son âge. Il se donnait maintenant le rang de Colonel, ayant adopté l’air imposant de circonstance. Personne ne semblait douter de ses antécédents et cela lui avait permis d’occuper des fonctions très intéressantes et de se faire des relations utiles.

Non pas qu’il ne prît pas la chasse au sérieux. C’était d’ailleurs un excellent chasseur. Il avait calculé qu’il consacrait environ la moitié de son temps au commerce d’animaux de toutes sortes. C’était une activité rentable et légale la plupart du temps. Cette expédition-ci était sans aucun doute tout à fait régulière ? Angela avait déjà trouvé un acheteur pour les animaux avant leur arrivée à Biggs Colony. C’était un riche banquier qui finançait un zoo sur Tau Ceti. Maxwell était presque certain que Benjamin était au service des autorités locales, qui voulaient s’assurer que tous les animaux chassés étaient capturés vivants. Griddley trouvait étrange qu’ici, le commerce des animaux vivants était légal, mais pas l’exportation des peaux. Maxwell Griddley faisait rarement confiance aux personnes nommées par une autorité quelconque. En fait, il faisait rarement confiance aux autorités en général.

Helmut avait terminé l’abri rudimentaire et tout le monde s’y blottit pour échapper à l’orage, qui avait atteint son comble. Griddley avait mis au point une stratégie simple pour chasser avec un personnel manquant d’expérience : Prévoir des pauses courtes mais fréquentes et ne jamais montrer une impatience quelconque. Quand Angela était fatiguée et qu’elle avait besoin de repos, ils s’arrêtaient tous. Il y avait peu de place à l’intérieur de l’abri, mais la pluie et le brouillard étaient tenus à distance. Et, au moins, cette pause lui permettait de fumer sa pipe à son aise.

Helmut était allongé en travers de l’entrée de la tente. Un jour, un marchand d’esclaves lui avait dit que la vie d’un esclave était celle qui comptait le moins dans un groupe comme celui-ci. A cette pensée, le chasseur fronça les sourcils. Il lui faudrait améliorer l’image que le garçon avait de lui-même au cours des quelques années à venir, sans quoi il ne fournirait pas tout son potentiel. A un moment donné, la tentacule d’une plante rampante chercha à pénétrer la chaleur qui s’était accumulée dans l’abri, mais Helmut, l’ayant remarqué, brandit rapidement sa machette. Griddley hocha la tête avec satisfaction ; Ce garçon était plein de promesses.

La pluie continua de tomber pendant une demi-heure, puis s’arrêta progressivement. Les grondements qui l’avaient accompagnée furent remplacés par le vacarme habituel de la jungle et le groupe reprit son chemin. Le brouillard qui montait de la jungle allait en s’épaississant et les odeurs se faisaient plus fortes, alors que l’habituelle chaleur étouffante renvoyait l’humidité dans l’air. Un miasme de végétaux en décomposition et de cadavres d’animaux pourrissants remplissait l’air, mais les membres du groupe étaient équipés de masques et n’étaient pas affectés par les émanations pestilentielles. Le Colonel tapota sa pipe contre un rocher proche et annonça qu’il était temps de repartir.

Angela aimait à penser que c’était elle qui dirigeait le groupe et que c’était à elle de décider lorsque le moment était venu de partir. Mais elle savait que, en vérité, c’était le Colonel qui prenait les décisions. Stupéfaite et pleine d’admiration, elle regarda le chasseur avancer avec précaution, inspecter ce fourré d’un air interrogateur, puis cet autre, examiner quelques plantes rampantes et s’entretenir à voix basse avec Benjamin. Après quelques minutes d’investigation, le Colonel s’était à nouveaux repéré. Ayant donné des ordres laconiques à son esclave et à M’banwe, il commença à se frayer un passage à travers la végétation. Aux yeux d’Angela, les directions semblaient toutes identiques, mais, sachant que l’indigène et le chasseur savaient ce qu’ils faisaient, elle haussa les épaules et se mit à les suivre.

Ce fut M’banwe qui, le premier, entrevit l’itorilleta. Il observait l’un de ses nombreux écrans qui retransmettaient des images de qualité médiocre à partir de l’une des trois caméras vidéo flottantes. A cette vue, il s’arrêta net. Il poussa un sourd grognement de surprise, puis toussa d’une voix plus forte pour essayer d’attirer l’attention des autres.

« Hé, patron ! », dit-il aussi doucement que possible. « Je ne pense pas que vous devriez aller beaucoup plus loin. » M’banwe essayait de garder une voix calme, mais ne parvint pas à dissimuler un léger bégaiement, qui attira aussitôt l’attention du chasseur. Alors qu’il allait revenir vers le technicien, M’banwe fit quelques gestes brusques pour l’arrêter dans son élan. Lentement et avec précaution, il fit glisser l’écran de contrôle de son poignet et le lança à Griddley, qui l’attrapa adroitement, sans sembler bouger.

Les mouvements mesurés des deux hommes avaient affecté le reste du groupe et tous se tenaient absolument immobiles. Griddley jeta un coup d’œil sur le petit écran dans le creux de sa main. Il avait déjà deviné ce dont il s’agissait, mais n’éprouva aucun réconfort à voir ses suppositions confirmées à l’écran. L’image était grenue et de mauvaise qualité, mais la forme qui remplissait l’écran ne laissait aucun doute. « Bon, c’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer », se dit-il à lui-même.

Biggs Colony possédait une quantité d’animaux hostiles à l’homme, mais l’itorilleta était sans aucun doute le plus rusé d’entre eux. Tenant du dinosaure, de l’araignée et du scorpion terrestres et couronné d’une masse ondulante de tentacules sensorielle, il obstruait, du haut de ses vingt mètres, une piste à peine esquissée. Dans un coin de l’écran, Griddley pouvait tout juste voir bouger les frondes végétales. De petits animaux qui cheminaient le long de la piste allaient bientôt être la proie du monstre qui les attendait patiemment. Pour Griddley, il n’y avait pas à se tromper sur l’identité des victimes que l’animal avait l’intention de faire siennes.

Angela était clouée sur place ; Quelque chose inquiétait le Colonel et avait effrayé le jeune M’banwe. Alors même qu’elle les observait, le chasseur faisait une série compliquée de gestes à l’intention du technicien pour lui indiquer ce qu’il attendait de lui. Le jeune homme déboucla lentement son sac à dos et le fit glisser au sol. Il en extirpa un appareil, dont Angela crut au départ que c’était une caméra vidéo se portant à l’épaule. Ce n’est que lorsque M’banwe commença à adapter le canon qu’elle pensa à un fusil. Elle ne savait même pas que le Colonel possédait une telle arme, sûrement illégale dans ce monde. M’banwe fouilla fans le sac à une troisième reprise pour en extraire une autre section de canon ou quelque autre partie de l’arme, à laquelle il rattacha un quatrième, puis un cinquième élément.

Benjamin Grossman parut également surpris à l’apparition de cette artillerie, dont le souvenir remontait à l’époque où il était conscrit dans le corps expéditionnaire planétaire. C’était une arme de soutien pour l’infanterie, davantage destinée à arrêter les véhicules blindés qu’à chasser les volatiles. Soit que le Colonel dramatisait, ou soit qu’ils couraient un réel danger. La chasse de la faune indigène était limitée par un quota et l’une de ses tâches était de veiller à ce que ce quota soit respecté. Cependant, il soupçonnait très fortement que cet animal n’allait pas être capturé vivant.

Le Colonel était maintenant en possession de l’arme. Il la soupesa dans ses bras, puis la cala sous ses épaules et s’engagea à pas prudents le long de la piste. Interdit, Helmut avait suivi l’assemblage de l’arme à feu, les yeux écarquillés et tous muscles tendus. On n’avait pas eu à lui dire de se tenir coi. La jungle le terrifiait et il regrettait la sécurité du bateau du prince bleu, où les fouets et les bâtons des marchands d’esclaves étaient les seuls dangers.

Seul Benjamin regardait en direction de Helmut, quand les nerfs du garçon craquèrent. Une convulsion parcourut le corps du jeune home et il poussa un cri sauvage avant de se réfugier en courant dans le réseau serré d’arbres qui les entourait. Grossman plongea pour atteindre les jambes du jeune esclave, mais il manqua son coup et s’étala dans la boue. Soudain, la végétation remua, juste devant le groupe, et huit pattes grosses comme des arbrisseaux apparurent bientôt, supportant le corps de l’itorilleta. Le ventre du géant difforme était à dix bons mètres du sol. Les membres de l’animal paraissaient grêles comparés à la masse qui les dominait. La tête fureteuse s’était abaissée pour inspecter le sol de la jungle à l’aveuglette, tandis que les tentacules sensorielles qui formaient un anneau autour du cou et de la tête de l’animal cherchaient à localiser l’agitation.

Angela cria et M’banwe courut vers elle, l’entraînant dans la jungle du côté opposé à celui où se trouvait l’esclave. Un mince tentacule d’à peine dix centimètres de diamètre surgit de dessous la couronne d’yeux du monstre, en direction du garçon en train de disparaître. Il y eut un autre hurlement et des cris de terreur, tandis que Helmut était soulevé haut dans les airs, puis dirigé vers les mâchoires du monstre, supportées par deux autres membres qui dépassaient du corps de celui-ci, juste derrière le cou.

Un rugissement assourdissant en provenance du milieu de la piste remplit l’air, comme si un essaim de guêpes venu des enfers s’était élevé dans le ciel. Pendant un instant, le bruit domina celui de la forêt et une ligne de points brillants verts semble parcourir le corps de l’animal. Des jets de sang jaune surgirent de chaque point brillant, tandis que le Colonel dirigeait adroitement son tir vers le monstre.

A l’agonie, le monstre émit un étrange ululement par sa double bouche et se retourna pour essayer de localiser l’endroit d’où venait la douleur. Helmut fut projeté à distance, quelque part dans la forêt, tandis que l’itorilleta tentait de lutter contre le flot de projectiles dont son corps était bombardé. Le monstre se cabra et tourna sur lui-même avec une étonnante agilité, pour disparaître dans la jungle. Le Colonel, le corps agité par le recul de l’arme, se tenait debout, maintenant l’arrière de l’animal en fuite dans sa ligne de tir.

Au moment où l’itorilleta allait s’enfoncer dans l’épaisseur de la jungle, le Colonel appuya sur une deuxième gâchette, ce qui provoqua un fort recul. Un instant plus tard, il y eut une énorme secousse ; Une grenade venait de toucher l’arrière de l’animal, qui disparut pour de bon dans la jungle. Sous les regards de Benjamin et des autres membres du groupe, le Colonel continua à faire feu sans interruption, empruntant la direction prise par le monstre fou. Les enjambées décidées du Colonel s’accélérèrent et il se mit à courir à petits pas. Ses yeux étaient allumés d’une lueur folle et un sourire triomphant se dessinait sur ses lèvres.

Les autres se relevèrent des divers endroits où ils s’étaient terrés. Ils entendaient les bruits d’arbres écrasés autour d’eux, tandis que le chasseur poursuivait l’animal blessé à travers la jungle. Les oiseaux effarouchés s’envolaient en piaillant dans les airs, imités par les insectes, afin de laisser libre le chemin emprunté par le monstre. M’banwe fut le premier à se remettre et il envoya les deux caméras vidéo dont il avait encore le contrôle sur les traces de la bête, parmi les arbres saccagés. Benjamin offrit le bras à Angela, qui se remit debout tant bien que mal, en s’appuyant fortement sur le guide. Tous trois se regardèrent. Comme ils essayaient de comprendre ce qui s’était passé, la perplexité et le désarroi se lisaient sur leurs visages. D’un commun accord, ils se mirent en route sur les traces du Colonel et de sa proie.

Ils le trouvèrent un quart d’heure plus tard, à l’orée d’une clairière où le corps de l’itorilleta, agité de convulsions, baignait dans une mare de sang jaune. La jungle était silencieuse alentour, à l’exception d’un cliquetis sourd en provenance de l’arme du Colonel, qui continuait toujours à essayer de faire feu, bien que le magasin fût vide depuis longtemps. Le Colonel, le souffle court, contemplait la masse déchiquetée affalée sur le sol de la jungle. Un frisson lui parcourut le corps, puis un deuxième, et un troisième. Il inspira alors à pleins poumons et expira en un long sifflement sourd.

« Je ne pense pas que nous serons autorisés à conserver celui-ci, Angela », commenta-t-il, comme il se détournait de sa prise pour rejoindre le groupe. « Quelqu’un a-t-il vu Helmut ? », interrogea-t-il ?

Les autres membres du groupe échangèrent des regards coupables, réalisant qu’ils avaient complètement oublié le jeune esclave. M’banwe envoya aussitôt ses caméras flottantes explorer la jungle à la recherche du garçon. Angela s’effondra sans élégance sur le sol et se mit à étaler une crème désinfectante sur l’une de ses jambes qui, dans la poursuite, avait touché une plante rampante. Un cri d’exclamation s’échappa des lèvres de M’banwe, tandis qu’il montrait ses écrans du doigt, en faisant des signes à Benjamin. Il venait de repérer Helmut sur le sol de la jungle, pelotonné en position de fœtus, genoux serrés contre la poitrine.

« Tiens, prends ça ! » M’banwe lança un petit écouteur dans la main de l’indigène, alors que ce dernier se dirigeait vers les arbres.

« Je peux t’orienter à partir d’ici », expliqua-t-il. Grossman sourit au technicien et glissa l’appareil dans son oreille, puis s’enfonça dans la jungle.

« Nous ferions mieux de partir, Angela. Les charognards vont bientôt être là et il serait préférable de ne pas nous trouver sur les lieux, au cas où ils commenceraient à se battre entre eux. » Le Colonel démontait son arme pour la ranger, tandis que M’banwe donnait des instructions brusques à Benjamin. Elle acquiesça d’un signe de tête et tous trois reprirent en sens inverse la voie empruntée par l’itorilleta blessé, qui avait tout détruit sur son passage. M’banwe parlait sans interruption à Grossman, le tenant au courant de leurs positions relatives, de manière à ce que l’indigène pût les rejoindre une fois qu’ils auraient regagné l’abri rudimentaire érigé par Helmut à peine une heure auparavant.

Cette nuit-là, le groupe demeura exceptionnellement silencieux. Les plaisanteries et les bavardages habituels sur les incidents de la journée étaient absents de la conversation. Tous les membres du groupe avaient quelque plaie à soigner, car, dans la poursuite effrénée, ils avaient tous été blessés d’une manière ou d’une autre. Le Colonel souffrait notamment d’une épaule meurtrie, mais, sur les cinq, c’était sans aucun doute le plus heureux. Il était assis au bord de la tente, le regard tourné vers le ciel sombre, sans lune. Il tirait sur sa pipe et écoutait les cris obsédants des animaux nocturnes.

Il sentit Helmut se glisser près de lui dans l’obscurité et se tourna vers le garçon. « Comment te sens-tu ? », demanda-t-il.

« Ne me renvoyez pas ! S’il vous plaît, ne me renvoyez pas ! Je ne recommencerai plus. » Le ton suppliant de l’esclave agaça le Colonel, mais il en comprenait la cause.

« Non, mon garçon ! Je ne vais pas te renvoyer. Tu es venu jusqu’ici et c’est déjà bien. Encore un peu d’expérience et tu te mesureras au monstre à mains nues ! »

Helmut baissa les yeux, peu convaincu de la bonne humeur de son maître.

« Non, je ne plaisante pas, mon garçon. Je t’ai payé une somme rondelette et je me suis assuré de tes qualités avant de débourser cet argent. Je m’attendais à ce que l’un d’entre vous craque, ayant réalisé en présence de qui nous nous trouvions. Au moins, tu t’es sauvé, au lieu de t’effondrer et de bégayer à ses pieds. Si tu n’avais pas fait diversion, je n’aurais peut-être pas pu viser aussi bien.

« De toute façon, c’est du passé, maintenant. Tu es remis de tes émotions et le monstre est mort. Demain, nous retournerons sur les lieux. Nous devrions pouvoir capturer les pièces manquantes pour atteindre le quota d’Angela, si nous nous plaçons en position d’attente près du cadavre. Je veux que tu t’habitues à ce genre de chose ; Donc, ne fais pas l’imbécile en prenant les jambes à ton cou une fois de plus ! Tu pourrais tirer le premier coup demain matin. »

Les paroles du Colonel avaient laissé Helmut perplexe. Il s’attendait à se faire houspiller, voire à être renvoyé ou vendu, mais, au contraire, son maître lui donnait davantage de responsabilités, et non moins. Après tout, cette vie d’aventure et de chasse ne serait peut-être pas aussi terrible qu’elle lui était apparue initialement. Il s’éloigna en rampant pour trouver un endroit confortable où dormir, laissant le Colonel à sa pipe et aux ténèbres. Il était résolu à mieux faire la prochaine fois.


 

Du mauvais côté de la loi

(David Massey)

 

Le Capitaine Jupiter sorti de son champ de sommeil et atterrit lestement sur le pont de sa cabine de luxe. Quelque chose n’allait pas. Il pouvait sentir les vibrations irrégulières des moteurs sur tout le pont du navire. Il revêtit rapidement une combinaison de bord, nettoyée et lavée par le navire pendant qu’il dormait et sentant encore légèrement le citron. L’odeur douce ne fit rien pour améliorer son humeur.

Il prit, en courant, le couloir étroit qui menait au poste de pilotage, regardant constamment autour de lui pour vérifier les signes révélateurs d’une dépressurisation imminente. Cela n’arrivait pas souvent, mais ce dernier vol avait été poursuivi par la malchance. Ce serait le comble si le vaisseau tombait en morceaux en plein espace. Les frais de récupération pour l’Association d’Astrogators étaient insurmontables et il avait laissé son adhésion expirer la dernière fois qu’il avait changé de nom.

Il vérifia les interfaces de contrôle tout en courant. Pour ses yeux d’expérience la série de lumières clignotantes donnait une indication rapide de l’état de l’engin. Pour le moment aucun des passagers n’avait réagi au changement des moteurs. Ils n’avaient probablement rien remarqué. Ce dernier groupe ne semblait pas être très habitué à voyager dans l’espace. Ils avaient tous eu besoin d’une double dose de quittoline pour supporter l’hyperespace. C’était étrange qu’il ne souffre jamais du syndrome de l’hyperespace. Peut-être était-il simplement né sous une bonne étoile.

Le Capitaine Jupiter atteint le poste de pilotage et débloqua la porte. Avec la facilité de l’habitude, il se glissa dans le siège de silastoplastone puis se pencha pour caresser les commandes.

« Qu’est-ce qui ne va pas Iolanthe ? demanda-t-il au vaisseau.

« Quelque chose a foiré le dernier saut, Cap’taine. » La voix du vaisseau avait un ton humoristique mélodieux qui donnait l’impression que sa réponse n’était pas sérieuse. Pour une raison mauvaise, ses circuits émotifs avaient été emmêlés à la fabrication. L’ordinateur semblait toujours être gai en annonçant de mauvaises nouvelles et triste quand tout allait bien. Le Capitaine Jupiter avait toujours eu l’intention de le faire réparer mais il avait appris à aimer le vaisseau comme il était et donc il hésitait à changer les choses. En ce moment l’ordinateur semblait complètement heureux. En effet, les choses étaient peut-être très graves.

« Alors quelle est notre situation, puces-de-cerveau ? » Le Capitaine Jupiter adopta un ton plaisanteur pour cacher ses craintes. Cela ne tromperait pas l’ordinateur, mais il se sentirait mieux.

« Voilà la situation, mouillé-et-détrempé, nos bobines à hyper propulsion principales ont explosé et nous sommes tombés en dehors de l’hyperespace ! Le système atmosphérique a subi quelques dégâts et nous perdons du combustible d’un de mes réservoirs. » L’ordinateur semblait positivement délirant en annonçant les nouvelles.

« Max disait toujours après la pluie le beau temps, alors quelle est la bonne nouvelle dans tout ça ? »

« Eh bien, la cuisine a subi des dégâts aussi, donc votre machine à café est un tas de débris. Vous n’aurez plus à supporter cette horrible boisson. »

Le dernier commentaire fit sourire le Capitaine Jupiter. C’est Max qui lui avait donné l’habitude de boire ce mauvais breuvage marin. Aucun doute qu’il pourrissait ses intestins, mais il avivait ses nerfs. Il avait depuis longtemps l’intention d’arrêter. Maintenant, il avait peut-être une chance réelle de le faire.

« Et les cigares, cerveau-de-métal ? »

« J’aimerais bien pouvoir dire qu’ils sont aussi détruits, Cap’taine. Ils ont complètement chamboulé la climatisation, mais malheureusement ils sont toujours intacts. »

« Eh bien, donne m’en un alors. Je ne peux pas me concentrer sans un cigare si je ne peux pas boire une tasse de café. » Jupiter s’assit dans le siège familier, regardant autour de lui l’état usé et minable des commandes. Il admira le dé en peluche pendu sur l’un des écrans de vision, souvenir de Quince. Il fronça les sourcils à la mémoire de cet évènement, puis sourit.

Il y eut un petit sifflement d’air quand une petite fente de livraison s’ouvrit et un cigare épais Tilialan en sortit. Il le ramassa, le roula près de ses oreilles et respira l’arôme fin des feuilles parfaitement conservées. Il s’alluma avec la première bouffée d’air inspirée, autre indication que l’Humidor du vaisseau fonctionnait encore à cent pour cent. Les choses pourraient être pires, mais maintenant il avait envie d’une tasse de café.

« OK, Iolanthe, qu’as-tu trouvé ? »

« J’ai retrouvé notre système, patron. Nous sommes ressortis au système d’étoile van Maanen, un peu plus loin que normalement, mais nous devrions pouvoir arriver dans un des mondes intérieurs si nous faisons attention. »

« Tu fais ça pour me déprimer, n’est-ce pas, ordinateur ? Dis-moi où nous sommes vraiment — n’importe où sauf van Maanen. Je n’ai pas besoin de ça. »

« J’ai bien peur que non, Cap’taine, c’est Major ou rien. Et avant que vous ne me posiez la question, non je ne peux pas réparer ces bobines d’hyperespace avec l’équipement du bord. Vous devez atterrir et aller à un chantier naval, et ce ne sera pas bon marché. » Iolanthe avait ce ton jovial dans la voix qui signalait que les problèmes ne faisaient probablement que commencer. Le Capitaine Jupiter pensa prendre un autre cigare, réalisant qu’il venait juste d’écraser le premier en se balançant de frustration. A la place il se pencha en avant et appuya sur le bouton pour lui donner une communication avec tout le vaisseau. C’était le moment de dire aux passagers ce qui se passait.

« Écoutez attentivement ! Écoutez attentivement ! Ceci est une urgence ! Je répète, ceci est une urgence. » Le message retentit des haut-parleurs dans chacune des coquilles des passagers. Le rapporteur d’Iolanthe lui montrait que tous les passagers étaient maintenant réveillés. Il présuma qu’ils écoutaient tous et essaya de transmettre de la confiance alors qu’il faisait un rapport sur l’état du vaisseau.

« Nous avons eu un petit accident. » Alors ça, c’est un euphémisme, pensa-t-il en lui-même comme il essayait d’annoncer la nouvelle. « Nous avons subi une PIH, c’est une Précipitation commise par Inadvertance d’Hyperespace, pour ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec les voyages spatiaux. Elles n’arrivent pas souvent, mais je ne vous cacherai pas que c’est sérieux.

« Heureusement nous avons été jetés dans un système habité, donc c’est une consolation. Malheureusement, nous somme maintenant à l’étoile van Maanen et la seule habitation est une petite planète rocheuse appelée Major. Pour ceux d’entre vous qui ne la connaissent pas, elle est dirigée par une secte religieuse, les Gardiens de l’Esprit Libre et ils ne sont pas rigolos. Je vous recommande, lorsque nous atteindrons enfin la planète, d’essayer de rester dans le vaisseau. Il n’y a pas grand-chose à voir de toute façon, puisque la plupart de la colonie est en sous-sol.

« Une autre bonne nouvelle : Ils n’autorisent pas le commerce animal, donc notre cargaison ne peut pas aller sur le marché. » Sur cette dernière information, il éteignit les circuits, laissant les passagers crier entre eux sur ce qui venait de se passer. Il n’avait aucun doute qu’il y aurait beaucoup d’indignation justifiée dirigée contre lui pendant l’heure suivant. Laissons les dépenser un peu d’énergie en se criant les uns sur les autres avant de commencer sur lui.

Le Capitaine Jupiter se renfonça dans le siège de pilote. Il avait programmé le pilote automatique pour Major et maintenant le vaisseau pouvait pratiquement voler tout seul jusqu’à l’orbite. Il laissa courir son imagination, cherchant comment faire sortir quelque chose de bon de cette situation difficile. Il ne semblait pas y avoir beaucoup d’espoir de faire un profit dans ce voyage. Avec un peu de chance il rentrerait peut-être dans ses frais.

La situation n’était pas rendue plus facile par sa cargaison actuelle. Il emmenait un groupe de chasseurs du monde de la jungle de Biggs Colony dans Altair à Taylor Colony dans Tau Ceti, ou du moins tel était le plan. Tout avait commencé sans à-coups — pas de problèmes avec la chasse — puis le premier saut d’Altair à Fornalhaut comme sur des roulettes, 12,6 années lumières sans une secousse. Il avait commencé à nourrir des doutes sur l’état de ses moteurs depuis les réparations à prix réduits à Harristown sur Miller dans le système Quzece. Il avait prévu de donner aux moteurs une révision complète à l’arrivée sur la colonie Taylor, mais maintenant c’était trop tard.

Les PIH étaient rares, comme il l’avait dit aux passagers. Dans un certain sens il avait eu de la chance, puisqu’ils étaient sortis quelque part près des habitations humaines. Une bonne proportion de PIH doit arriver dans l’espace profond, bien au-delà de l’espoir d’un contact. Il y avait de nombreuses disparitions inexpliquées dans l’espace et les pirates ne pouvaient pas être responsables de toutes. La presse populaire mettait les autres sur le compte d’étranges créatures non-identifiées et malfaisantes. Le Capitaine Jupiter avait tendance à penser que l’hyperespace était plus dangereux que beaucoup ne le pensaient. Il s’inquiétait plus pour le problème immédiat de payer pour les réparations que des forces étrangères mystérieuses.

Son vrai problème était que son compte bulletin ne couvrirait probablement pas les coûts des réparations de ses moteurs et de son vaisseau. Il aurait besoin de vendre un peu de sa cargaison et tout ce qu’il avait à bord était un groupe de chasseurs et leurs gibiers. Les animaux auraient atteint un bon prix à Haynes Landing sur la colonie Taylor pour un des zoos du superviseur. Mais les autorités religieuses au port d’étoiles de Goldstein interdisaient le commerce des animaux et des peaux. Il avait des contacts avec le marché noir sur le système van Maanen, mais il ne les avait pas contactés depuis longtemps.

C’était ironique qu’un désastre frappe ce voyage en particulier. C’était tellement comme son premier goût de liberté, quand Max l’avait emmené pour sa première chasse. Le Capitaine Jupiter repensa aux bons vieux temps. Il venait juste d’être vendu. Un nouvel esclave avec rien d’autre qu’un esprit rapide et des bras costaux. La chasse avait eu lieu dans la jungle de Biggs Colony, un endroit effrayant et inconnu de végétation dense et d’air que vous pouviez mâcher aussi facilement que respirer. Il était presque mort là-bas, sauf que Max avait réussi à le sauver.

Cette même nuit, il s’était juré de devenir un aussi bon chasseur que son maître. Depuis ce temps, un véritable lien d’amitié s’était créé entre eux. Il avait vite appris que Max n’était pas le grand chasseur qu’il se disait être, passant d’une personnalité à une autre à chaque fois qu’une nouvelle commission le demandait. Il découvrit que Max n’était pas le vrai nom de son maître, mais que les noms pouvaient être changés aussi facilement que les vêtements et que souvent le bon nom aidait plus que toute une pile de références.

Il avait abandonné son premier dès qu’il fut inscrit comme un homme libre. Tenant sa parole, Max l’avait laissé partir dès que sa chasse et ses autres talents lui avaient rapporté cinq fois son prix d’achat. Helmut était mort avec les documents d’esclave et il s’était senti extrêmement soulagé assis près de Max dans un bar du port spatial jonglant négligemment avec de nouvelles identités en buvant une bouteille de Fujiyama Old Gold. Il s’était souvent demandé pourquoi Max l’avait choisi au milieu de la foule là-bas sur le rocher Mackenzie, quand Phildop IV avait tenu sa vente aux enchères.

Il était resté avec Max deux ans de plus, comme partenaire avant de reprendre l’affaire quand le vieil homme avait pris sa retraite à Honda dans le système perdu d’Alkaid. Puis il avait acheté le vaisseau et s’était installé à son compte. Ses années passées à travailler avec Max lui avaient donné un nombre de talents et de contacts qu’il avait pu utiliser à bon escient.

Mais la roue avait tourné récemment et une série de mauvais jugements l’avait réduit à piloter un groupe de chasseurs de deuxième ordre autour de certains mondes intéressants. Les jungles d’Altair furent le dernier arrêt culminant d’un voyage de chasse de gros gibier. Ceci avait été la dernière étape et maintenant il était revenu au point de départ. Pire que le point de départ, il devait trouver l’argent pour ses réparations ou ils seraient coincés dans ce trou perdu pour dieu sait combien de temps. Il ne pouvait qu’espérer que son vieux contact sur Major était toujours là et qu’il opérait encore.

« Iolanthe, j’ai besoin d’un petit remontant. Fais-moi un sandwich veux-tu ? »

« Voulez-vous seulement un sandwich, ou avez-vous aussi besoin de pilules avec ? »

« Un sandwich fera l’affaire. Pendant que tu le décongèles, donne-moi toutes les infos du système sur le port d’étoile Goldstein, OK. » Le Capitaine Jupiter et Iolanthe gardaient l’illusion que la nourriture servie était gardée dans un congélateur et que le vaisseau décongelait des paquets comme et quand il le voulait. C’était bien moins désagréable que d’imaginer le processus par lequel la nourriture était recyclée et reconstituée dans les profondeurs de la machine.

Le sandwich arriva en temps voulu, livré par une fente différente de celle du cigare. Il prit le paquet tiède du comptoir, puis en croqua un morceau. Avec une grimace il cracha la nourriture sur le tableau de bord de commandes.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? » brailla-t-il, toute la fureur et la colère de son sort concentrées sur le goût dégoûtant dans sa bouche.

« Bacon et tomate, bien-sûr — votre préféré. » Iolanthe semblait étonné.

« Je crois que tu devrais encore vérifier les dégâts internes, cerveau-de-silicone. C’est horrible, indescriptible — une bouillie marinée de racines de grana n’aurait pas été pire. C’est un goût que je n’oublierai jamais. Donne-moi une bière forte, j’ai besoin de quelque chose pour me rincer la bouche. » Jupiter cracha les derniers fragments de sa bouche sur le sol de sa cabine. Les mécanoïdes de ménage nettoieraient lorsqu’il ferait sa prochaine pause. « Il vaut mieux que tu me donnes aussi ces pilules, jusqu’à ce que tu trouves ce qui ne va pas avec la cuisine. »

La perte de la cuisine ne fit que rendre le voyage de quatre jours vers Majors plus intolérable. Les passagers étaient agités et devinrent de plus en plus impatients et en colère comme ils approchaient de la planète. Iolanthe découvrit que la cuisine ne pouvait fabriquer que des repas pour les animaux de la cale et le plus agréable au goût sentait comme des choux pourris et étaient servis sous la forme d’une bouillie liquide. Le seul autre choix était de l’alcool, qui était disponible dans d’innombrables variétés synthétisées. Donc lorsque les passagers arrivèrent au port de l’étoile Goldstein, ils étaient à la fois très critiques et complètement ivres.

Le Capitaine Jupiter s’attendait à être autorisé à atterrir avec le minimum de discussion. Son vaisseau était petit, son inventaire était complètement à jour et l’arrivée accidentelle dans le système entièrement enregistrée dans la mémoire du vaisseau. Il avait adopté une configuration standard, laissant l’approche finale et l’arrimage au pilote automatique — pas la peine de prendre des risques. Il s’était réinstallé dans l’ancien silastoplastone et l’avait laissé absorber les tensions éphémères et les poussées de l’approche finale. Soudain, l’écran de communication brilla d’un bleu féroce, puis vert et surimposés sur le fond tourbillonnant apparurent deux visages en colère.

« Vous avez approché cette colonie sans autorisation ni permis. L’autorisation d’atterrir peut être refusée selon le tribunal de l’Église. Vous transportez des animaux illégaux dans vos cales. Méfiez-vous des punitions imposées sur le commerce d’animaux ou de leurs produis dans ce monde. L’Ancien de l’Église jugera la question. Le tribunal siège actuellement ! » L’officiel des douanes en uniforme aboya son discours avec moins d’émotions qu’une calculatrice de poche. Son visage passa d’un côté et la deuxième personne apparut en net. La femme avait une apparence dure et impardonnable, accentuée par le vêtement simple et grossier qu’elle portait.

« Donnez vous raisons pour avoir profané cette colonie, étranger. Nous ne tolérons pas les visites inconsidérées et ceci n’est pas une station touristique. Nous devons travailler dur pour expier les péchés de l’humanité, nous n’avons pas le temps pour les distractions frivoles. »

Le Capitaine Jupiter ne s’était pas préparé à la brusquerie de l’approche et prit une seconde pour se recueillir.

« Euh… Je… C'est-à-dire… Excusez-moi, madame. »

« Votre éminence, » l’interrompit la femme. « Le terme correct est « votre éminence ». »

« Euh, merci votre éminence. Mais ceci n’est pas un voyage touristique. Nous venons sur votre planète en détresse. Mon cargo n’a pas l’intention de profaner vos colonistes. Mon ordinateur de bord peut prouver que ces animaux sont en transit vers Tau Ceti. »

« Nous sommes loin de Tau Ceti, jeune homme. » Le ton de la femme était glacial et on ne pouvait pas se tromper sur son hostilité. De la façon avec laquelle elle le regardait à travers l’écran, il semblait qu’elle s’attendait, à tout moment, à le voir pousser des cornes et une queue.

« Non, vous ne comprenez pas. » Le Capitaine Jupiter se demanda brièvement si c’était la façon de parler à une figure d’autorité dans la théocratie locale, mais continua quand même. « Ce que je voulais dire c’est que nous devions aller à Tau Ceti — vos ordinateurs d’atterrissage et les recherches de vos ordinateurs sur l’itinéraire de ce vaisseau pourront le vérifier. Nous avons eu une catastrophe lors de notre dernier saut qui nous a précipités de l’hyperespace dans ce système. Ne me demandez pas comment. »

Les mots semblèrent avoir peu d’effet sur la femme. Elle continuait à le fixer sombrement. Ses yeux se tournèrent d’un petit coup vers la gauche, probablement vers un affichage de données hors de vue de Jupiter, puis revinrent pour le fixer. « Mon gardien m’assure que ce que vous dîtes ressemble à la vérité. Vous devez vous réaligner et sauter hors du système du Chosen immédiatement. Nous n’éprouvons ni le besoin ni le désir d’entrer en contact avec vous. Permission d’atterrir refusée. » La femme s’avança vers l’écran pour terminer la transmission.

« Non ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Attendez ! Nos moteurs sont brûlés. Nous ne pouvons pas sauter hors du système. » Jupiter eut une vision soudaine de lui-même, ses passagers et son cargo restant en orbite indéfiniment parce que cette misérable femme ne voulait pas les laisser atterrir. C’était vital qu’ils atterrissent sur un port d’étoile au sol. La station orbitale n’était pas une option dans ses plans.

Son agitation était évidente et la révélation concernant ses moteurs fut suffisante pour arrêter la femme. « Est-ce que ce rapport est vrai ? » demanda-t-elle au gardien des douanes.

« L’ordinateur du vaisseau s’accorde avec ce que dit l’homme, votre éminence. Il n’a pas de bobines de propulsion et il a pas mal de dégâts dans le système interne. L’ordinateur de bord a détourné de la puissance d’urgence pour se maintenir dans un état opérationnel, mais il est aussi abîmé. »

Jupiter jeta un regard accusateur au haut-parleur central installé sur sa console. C’était là qu’il associait Iolanthe avec le monde des « vivants ». Le haut-parleur donna un éclat de statique, peut-être l’équivalent d’une toux embarrassée pour l’ordinateur. « Je te parlerai plus tard, silicone-baby », murmura-t-il dans sa barbe, certain que l’ordinateur l’entendrait.

« Très bien, jeune homme, vous pouvez arrimer pour utiliser l’équipement de réparation de Goldstein. Restez sur votre vaisseau. Dirigez toutes vos affaires à partir des chaînes de communication indirectes. Vous ne devez polluer aucun Esprit Libre avec vos ambitions non-travailleuses. Comprenez-vous bien ? Atterrissez immédiatement après cette conversation. » Avec ce message final la femme se tourna et sortit de la portée de communication. L’image officielle remplit une fois de plus l’écran.

« Vous transportez des animaux illégaux dans vos cales. Méfiez-vous des punitions imposées sur le commerce d’animaux ou de leurs produits dans ce monde. » L’officiel répéta son discours d’une qualité sans émotion. Le Capitaine Jupiter se demanda si les colonistes avaient importé des robots de la Fédération, mais rejeta l’idée. Les robots de la Fédération montraient certainement des émotions lorsqu’ils parlaient. « Atterrisses sous le contrôle de l’ordinateur et contactez immédiatement le chantier naval pour demander les réparations. »

L’écran clignota puis passa au vert avant de devenir gris monotone indiquant que la liaison avait été coupée. Jupiter soupira longuement et s’affaissa dans son siège. Cela avait été dangereux. Il devrait penser à changer de métier à l’avenir. D’une main exercée il commença la séquence d’atterrissage et autorisa l’équipement au sol à piloter le vaisseau.

Le vaisseau commença ses manœuvres de roulement et de rotations normales qui accompagnaient toujours un atterrissage dirigé par ordinateur. D’une façon ou d’une autre, aucun ordinateur pilote automatique ne réussissait à contrôler un vaisseau avec la même délicatesse qu’un pilote de première classe. Le Capitaine Jupiter grinça des dents, prêt à affronter des accélérations non annoncées et imprévues qui l’amèneraient se poser à la surface.

Les soufflements des moteurs arrivèrent soudainement, le prenant par surprise même s’il y était préparé. Il se demanda comment les passagers prenaient la chose. La durée du bruit des moteurs et la direction de la poussée étaient étranges aussi. L’ordinateur semblait l’emmener dans une descente presque verticale. C’était normal de glisser sur les pistes des planètes à atmosphère, car le vaisseau consommait bien moins de combustible et c’était bien moins traumatisant pour les gens du pays.

Comme la descente rapide continuait, le Capitaine Jupiter eut soudain un mauvais pressentiment.

« Iolanthe, » appela-t-il, comme une autre poussée apparemment irrégulière des moteurs fit grincer ses dents. « Quelle est l’épaisseur de l’atmosphère sur ce monde ? »

Il eut une pause avant la réponse de l’ordinateur.

« Vous savez, Capitaine, je ne peux pas me souvenir. » Iolanthe semblait extatique. Le Capitaine Jupiter fronça les sourcils. Les dégâts sur l’ordinateur devaient être sérieux pour qu’il perde une partie du système de l’encyclopédie de renseignements. Il espérait qu’il n’avait rien oublié d’autre concernant la planète. Il essaya de se souvenir de ses propres visites à la colonie, mais il n’avait pas non plus été autorisé en dehors du vaisseau. Cela pourrait être très dur.

Le Capitaine Jupiter resta attentif au roulement de tonnerre qui accompagnait normalement une descente à travers l’atmosphère. Il fut pris au dépourvu quand le bruit des moteurs s’éleva soudain dans un cri perçant, puis s’arrêta net. Le vaisseau se calma pendant un instant puis tout le bruit des moteurs se tut. Ils avaient atterri ! Une série de fracas métalliques bruyants traversa le vaisseau alors que les crampons agrippaient le navire, et le Capitaine Jupiter ressentit un serrement de cœur alors que le vaisseau s’enfonçait dans la planète sur un ascenseur de port spatial standard.

Le serrement au cœur n’était pas seulement physique. Il avait eu besoin d’un port spatial atmosphérique pour son plan d’urgence. Maintenant il y avait un nouvel élément d’incertitude. Ceci avait été jusqu’à présent une terrible mission. Il espérait que ça n’allait pas empirer.

Quand le Iolanthe eut atterri, le chantier naval en avait été informé et vociférait aux chaînes de communication d’accéder à l’ordinateur et aux fichiers du vaisseau. Le Capitaine Jupiter chargea Iolanthe de s’occuper de la ré-installation de son mieux, s’assurant que son propre ordinateur était la première chose réparée. L’ordinateur savait mieux que personne ses limites financières et lui ferait signe s’il y avait un problème avec l’équipement. En attendant, il ferait des recherches discrètes au cas où il aurait besoin de plus d’argent.

Il fit une recherche rapide sur le marché des valeurs, mais cela confirma seulement ce qu’il craignait. Le commerce de presque toutes les marchandises normales, comprenant les marchandises de luxe, les alcools et les médicaments était aussi illégal que celui d’animaux ou de peaux. Cela rendait sa cargaison et les capacités de son vaisseau complètement inutiles sur ce morceau de rocher. Il allait devoir essayer encore une fois le marché noir ?

Avant cela, il avait fait une fois un voyage dans ce monde, quand il travaillait encore pour Max. Ils avaient amené des médicaments bien nécessaires pour éliminer une peste qui se propageait à travers la colonie. Les médicaments et les drogues de toutes sortes étaient interdites à la population de cette planète, mais les quelques personnes qui n’étaient pas sous la domination des Gardiens de l’Esprit Libre avaient organisé une voie vers les mondes extérieurs. Les indépendants étaient peu nombreux, mais Jupiter espérait qu’au moins certains d’entre eux seraient encore là.

Il tapa une commande sur le tableau d’affichage et fut immédiatement en ligne avec le réseau de communication de la planète. Trois quarts des chaînes étaient dévoués à la doctrine de propagande dirigée par l’état, mais avec quelques codes pas orthodoxes et probablement illégaux, il réussit à trouver la portion du tableau qu’il voulait. Il y avait quelques annonces de « biens achetés et vendus », mais celui qu’il espérait trouver n’était pas là.

La dernière fois qu’ils étaient venus, leur transaction avait été conduite par George Hanburry, un nom parmi les autres sur le tableau, mais l’homme avait été un contact pour le marché noir. Son nom n’apparaissait pas sur la liste présentée. Il s’était peut-être arrêté de faire du commerce temporairement, pour éviter l’attention de la police locale, ou peut-être avait-il eu des démêlés avec la justice et avait-il été arrêté. Jupiter ne savait pas trop quoi faire.

Atterrir dans un nouveau système posait toujours des problèmes, surtout si vos marchandises principales de commerce ne pouvaient pas être échangée sur les chaînes normales du marché des valeurs. Si vous visitez un endroit régulièrement cela devient facile de repérer les vrais trafiquants, puisqu’ils apparaissent assez fréquemment sur les tableaux. Le problème venait des pièges de police qui apparaissaient sous la forme d’un marchand légitime.

Le seul moyen de savoir si un individu était avec la police était de l’utiliser, mais cela signifiait être pris une fois sur trois et les amendes pour vendre sur le marché noir étaient souvent considérables. Soudoyer les officiers de police marchait quelquefois, mais pas toujours et Jupiter pensa que Major était un monde où il était peu probable de trouver de nombreux policiers malhonnêtes. S’il venait souvent sur la planète cela ne serait pas un problème. La police n’utilisait jamais deux fois le même nom sur les tableaux. Une fois qu’un faux marchand avait été exposé à une arrestation, le reste de la communauté de bulletin se passait le mot et il était démasqué. Malheureusement, si vous ne venez qu’une fois dans le port, il n’y a aucun moyen de savoir qui est qui.

Le Capitaine espérait simplement que son compte était suffisamment en crédit pour payer les réparations, mais il était prêt au pire quand Iolanthe brisa le silence et lui annonça les nouvelles.

« Vous avez suffisamment de crédit immédiat pour faire réparer les bobines, pour me faire rafistoler et fixer le trou dans un des réservoirs d’hydrogène. Ce sont toutes les choses dont vous aurez besoin pour l’hyperespace, mais je ne pense pas que l’équipe ici sera capable de faire du bon travail. Vous ne pouvez pas vous permettre de faire réviser les autres équipements endommagés et vous n’aurez plus aucun fond à votre prochain arrêt. Si cela se sait que vous êtes fauchés, les marchands vous soutireront le maximum. »

Jupiter considéra l’information pendant quelques minutes. C’était à quelque chose près ce qu’il s’attendait à entendre. Il allait devoir essayer de contacter quelqu’un sur le marché noir.

« On dirait que je vais devoir tenter ma chance, ma vieille, » murmura-t-il à l’ordinateur. « Occupe toi de faire remplir les réservoirs de combustible. Donne moi un bip quand nous atteindrons maximum capacité. »

« Ce n’est pas nécessaire patron. Je me suis assuré que le plein était la première chose à l’ordre du jour. J’ai également fait réparer les bobines du mieux possible sur votre crédit. Nous sommes dans la meilleure condition permise par votre compte en banque. »

Le Capitaine Jupiter grogna en reconnaissance. Il aurait dû se douter que l’ordinateur ferait faire les boulots importants sans le consulter. Ce n’était pas la peine de retarder plus. Une seule chose restait à faire avant de voir s’il pouvait joindre les profiteurs du marché noir, mais cela éviterait beaucoup de problèmes si on en venait au pire. Il ouvrit la chaîne de communication avec les quartiers passagers.

« Attention ! Attention ! » Il utilisa son ton le plus autoritaire pour faire passer l’importance de son message. « Il va y avoir un test de lancement des moteurs dans dix minutes. Je répète, dix minutes avant le test de lancement. Tous les passagers, retournez dans vos cabines et attachez-vous. Ceci est un exercice d’urgence. Ceci est un exercice. Retournez dans vos cabines et attachez-vous. » Il éteignit le communicateur interne. S’il n’avait pas à utiliser les moteurs, il pourrait toujours dire que c’était un test de routine test, mais il ne voulait pas à avoir à s’inquiéter pour des bras ou des jambes cassées si les choses devenaient un peu périlleuses.

Il fit passer ses contrôles aux chaînes de communications extérieures.

« Donne moi le Tableau Bulletin, Iolanthe. Voyons avec qui nous avons affaire. »

Avec un léger vacillement de l’écran passa au logo d’interface standard. Il regarda la liste et fit la prière rituelle des marchands pour un bon choix de trafiquants. « Am, stram, gram… » Il appuya sur le second nom de la liste offrant « des marchandises achetées et vendues ». Le nom était Seymour Aleson. Il semblait aussi bon qu’un autre.

Il y eut une petite introduction musicale et un jet de structures de couleurs, le genre de fanfare qui n’était plus à la mode dans les mondes centraux depuis une dizaine d’années. Puis l’écran se dégagea pour montrer les marchandises d’Aleson. Presque tout ce qui était illégal sur Major était offert. Le Capitaine Jupiter joua avec l’idée de s’acheter quelques trucs mais se retint — il y aurait tout le temps pour ça plus tard s’il réussissait à vendre sa cargaison. Il examina attentivement la liste et sélectionna les peaux d’animaux. Croisant mentalement les doigts, il appuya sur la touche d’envoi.

Instantanément l’écran clignota en rouge et jaune et le visage joyeux de Seymour Aleson fut remplacé par un officier de police au regard fixant. « Je suis le gardien Diclenm de — » Jupiter appuya sur la touche d’annulation pour éteindre le reste du message et frappa la touche d’émission du système.

« Ici le navire marchand Iolanthe se préparant pour la mise à feu. Ouvrez le dôme ou je l’ouvrirai pour vous ! Vous avez trente secondes avant que mes moteurs principaux soient lancés. Commençant la séquence de lancement MAINTENANT ! »

La transpiration perlait sur son front et il dût essuyer ses paumes contre le siège pour les sécher alors qu’il se préparait pour le décollage d’urgence. Iolanthe avait immédiatement répondu en coupant la chaîne de communication avec le piège de la police. Il y avait un roulement montant alors que l’ordinateur donnait de l’hydrogène aux moteurs principaux et qu’ils se chauffaient pour atteindre la température opérationnelle. S’il pouvait faire le lancement à froid en seulement trente secondes, Jupiter serait aussi surpris que l’équipage de la tour de contrôle, mais il était totalement sérieux concernant le lancement par le dôme s’il n’était pas ouvert pour les laisser passer. Avec une indifférence étudiée, il ignorait les lumières clignotantes frantiques montrant qu’il y avait un message venant du port d’étoile.

Il était content d’avoir prévenu les passagers de s’attacher ; S’ils atteignaient le sommet, le décollage serait dur et il lui faudrait peut-être faire toutes sortes de manœuvres évasives pour quitter le système. Il aurait des explications à donner quand ils se rendraient compte à quel point l’exercice d’urgence avait été minutieux, mais il ne pensait pas qu’ils auraient aimé, plus que lui, rester sur Major en tant qu’invités des Gardiens.

Un sentiment de soulagement coula dans con corps comme il entendit les sons assourdis de l’activité à l’extérieur du vaisseau et il sentit une petite secousse alors que le système d’allocation d’atterrissage du port spatial se mit en marche. Le Iolanthe fut rapidement chargé dans l’ascenseur de surface et une accélération féroce le prit alors qu’ils étaient propulsés à la surface. La réponse d’urgence d’un port d’étoile souterrain devait être capable de se débarrasser de vaisseaux dangereux — par exemple, si le moteur d’un vaisseau menaçait de devenir critique — mais il était rare pour quiconque de menacer une combustion du moteur principal sur un port d’étoile. Le Capitaine Jupiter jouait sur la peur des Gardiens. Il espérait juste qu’ils étaient aussi effrayés que lui.

La petite fente à côté de son coude s’ouvrit et un cigare en sortit. Il l’attrapa et le fuma désespérément, respirant profondément la fumée piquante. C’était les petites attentions qui faisaient de Iolanthe un bon vaisseau, murmura-t-il. « Merci ma vieille, » dit-il, puis s’étouffa presque sur son cigare alors qu’un grognement guttural profond annonçait l’allumage du moteur principal et un poids énorme s’abattit sur sa poitrine alors qu’ils s’élevaient.

« Prends tous les mouvements évasifs nécessaires, » réussit-il à bredouiller alors que le vaisseau accélérait dans l’espace. Il n’y eut pas d’impact lorsqu’ils s’élevèrent, donc Jupiter assuma que les autorités avaient ouvert le dôme à temps. La raison principale pour laquelle il avait tenu à atterrir sur la planète plutôt que sur le comptoir en orbite, était que les autorités du port dans l’espace pouvaient cramponner un vaisseau sur place, l’empêchant exactement de faire le genre d’échappée désespérée qu’il venait juste de faire, alors que les services sur les planètes s’en donnaient rarement la peine. C’était quelque chose d’utile à savoir pour celui qui risque d’avoir des démêlés avec la police locale.

Le seul problème était de s’éloigner suffisamment pour faire un saut. Jupiter espérait que la police du système interne était seulement aussi efficace que les forces de la planète.

« Quelqu’un dans les environs Iolanthe ? » demanda-t-il.

« Rien dans la portée de communication patron — il semble qu’on s’en soit sorti encore une fois. » Iolanthe semblait morose et déçu. Le Capitaine Jupiter commença à se sentir mieux. Avec une telle réaction renfrognée de la part de l’ordinateur, leurs chances de s’en sortir devaient être élevées.

« Bien, alors prépare nous pour un saut dégagé, trouve nous une bonne cible et sortons d’ici. Quand tu as un moment, prépare moi quelque chose à manger, veux-tu ? » La tension du Capitaine se relâcha et il sentit qu’un petit encas — peut-être même une tasse de café — ferait des miracles pour lui rendre sa bonne humeur.

« Comment voulez-vous votre bouillie, Capitaine ? Parfum de racine-de-grana ou cerise-de-pigni ? Je n’ai pas eu le temps de faire réparer la cuisine ou de faire remplir le garde-manger. J’ai bien peur que ce soit alimentation animal ou pilules de nourriture jusqu’au prochain arrêt. Mais estimez-vous heureux. Au moins il n’y a pas de café dégoûtant pour vous pourrir les intestins. »


 

L'espoir fait vivre

(Kathy Dickinson)

 

« Au lot suivant ! Sortez-moi les plus faibles ! Le Tout-Puissant veut se débarrasser de ce lot ! » Le contrôleur des esclaves, nommé Slatter, cria à un autre. « Bargon ! Ça pue ici, » dit-il en bougonnant tout en jetant un coup d’œil sur le piètre groupe d’esclaves, cherchant à découvrir ceux qui n’avaient pas l’air d’une bonne occasion — il les enverrait plus tard dans l’espace. On les rassembla dans un enclos. « Redressez-vous, donnez-vous un air présentable ! Faites voir que vous valez mieux que de faire de l’engrais ! » Slatter se retourna vers Ham qui faisait sortir un esclave de la foule ; Ça faisait cinq rejets en tout. « Comment est-ce qu’on peut faire des bénéfices quand la moitié expire en route ! Qu’est-ce qu’il a, celui-là ? »

« Trop petit, » répondit Ham. Il portait la blouse marron réservée aux gérants des esclaves qui s’occupaient du stock. Il se sentait mieux protégé contre la vermine qu’ils soi-disant étaient. Il était ironique que comme les esclaves avaient la tête rasée et qu’on les arrosait tous les jours pour les laver, il était en fait plus sale qu’eux.

Cinq, c’était de trop. Slatter décida de les examiner lui-même. « Il est peut-être petit, mais il est fort — remets-le dans le tas. » Il scruta les autres. « Hum, je suppose que c’est vrai. On ne peut faire confiance à personne de nos jours, ils essayent toujours d’y glisser des éclopés. »

Ham empoigna l’esclave DB115 à plein corps pour le jeter dans l’enclos, rien que pour prouver qu’il avait raison. Comme il était jeune et habitué à ce genre de traitement, DB115 fit une roulade en atterrissant pour ne pas se faire mal, ce qui fit plaisir à Slatter.

Les fosses à esclaves où les marchands venaient faire de bonnes occasions, n’étaient pas des endroits agréables. Les salons d’accueil qui leur étaient réservés dominaient une scène de saletés et d’avilissement. Les offres se faisaient sur une console. Ils se sentaient justifiés d’envoyer les criminels et les bons à rien de la galaxie faire du travail honnête et de rendre service à l’humanité. Ceux qui savaient d’où venait la majorité d’entre eux ne sentaient rien du tout.

Phildop IV sirotait son verre et contemplait le lot numéro quatre dont faisait partie DB115. « Ce lot m’a l’air convenable, » pensa-t-il. « Je prendrai ce qu’il y a de mieux et je revendrai le reste au marché noir. » Agacé par les faux bijoux zubliques incrustés sur son front, il tapa son offre sur la console.

DB115 avait été expédié avec ce gang, pour les deux derniers arrêts ce qui devait durer longtemps. Normalement, on ne voyait pas les gens très longtemps. Soit parce qu’ils mouraient pour une raison ou pour une autre, soit parce qu’ils étaient revendus comme esclaves individuels, un destin qui pouvait leur apporter une liberté relative ou un enfer de martyr.

Des rumeurs circulaient que les esclaves étaient envoyés dans l’espace si on le considérait de qualité inférieure. Un homme lui avait dit qu’il avait vu flotter un groupe d’esclaves dans l’espace, tout nus (on réutilisait les uniformes), mais il les avait reconnu à cause du code tatoué sur leurs bras.

Comme il examinait le groupe, DB115 remarqua un grand garçon qui pleurait. « Ne pleure pas, pas ici du moins. Ça donne mauvaise impression, ils vont t’expédier dans l’espace. » DM134 releva les yeux, surpris de trouver quelqu’un qui avait l’air de s’intéresser à lui.

« C’est mon bras, il me fait mail. » La chair brûlée au laser était pleine de cloques et il s’en dégageait une vague odeur caractéristique. C’était, bien sûr, le code que l’on venait de graver sur ce nouvel esclave. DB115 lui serra l’épaule pour le réconforter. DM134 balbutia, « Je ne devrais pas être ici, ils m’ont enlevé. Notre ferme du Camp Hooper a été attaquée par un gang. Ils avaient l’air de venir de l’Empire. Toute ma famille a été prise ou tuée. Ils ont dit que nous étions criminels et maintenant, me voilà ici. » Il jeta un coup d’œil autour de lui, sur les cages métalliques éclairée de lampes rouges qui donnaient un air de bonne santé aux esclaves blafards. La plupart d’entre eux n’avaient pas l’air d’être des criminels endurcis comme on les décrivait aux mondes. Depuis qu’un certain minéral avait été découvert dans la croûte inculte et désolée de sa planète natale, les querelles n’avaient pas cessé entre l’Empire et la Fédération qui voulaient se l’accaparer. Des hostilités officieuses et mesquines entre les deux côtés éclataient de temps à autre.

Il pouvait entendre au loin un air de musique en provenance des salons, destiné à aider les marchands à se détendre et à acheter. Les écrans au-dessus de chaque cage clignotaient chaque fois qu’une offre était faite et renchérie. DM134 pensa que c’était la fin de sa vie et regarda fixement dans le vide.

DB115 avait déjà vu ce regard de désespoir. C’est ce qu’il avait ressenti lui-même, et ce qu’il ressentait encore de temps à autre. Ceux qui arrivaient à dépasser ce stade, retrouvaient de l’espoir qu’un jour ils seraient libres, ou tout au moins qu’ils appartiendraient à un maître généreux. « Je m’appelle Kharon, » dit DB115. « Et toi ? »

« Welpin. »

Ils se serrèrent la main, et ressentirent un instant un sentiment chaleureux.

Kharon se souvint du jour où on l’avait arraché de chez lui, dans des circonstances différentes de celles de Welpin. Ceux qui présidèrent à sa captivité étaient les Pères de l’Âme Pure, une secte religieuse qui régnait sur sa communauté. Comme il n’avait que dix ans à l’époque, Kharon n’avait pas bien compris ce qui se passait lorsque lui et sa famille avaient dû comparaître au temple sacré. Le prêtre avait déclaré que son père n’avait pas respecté l’Observance, alors sa famille devait être punie. Il s’ensuivit maintes prières et lamentations qui durèrent une heure et dont il ne comprit que quelques bribes car il n’était qu’en cinquième à l’école. Ça serait bientôt terminé, et ils pourraient tous rentrer chez eux, croyait-il. Un défilé d’Hommes Saints en longues robes bleues apparut de la salle sacrée et leur fit un discours. Ils parlèrent de pêchés et d’actes abominables, bien trop de mots pour décrire quelque chose de simple, pensa Kharon. Comme il comptait les têtes sculptées dans le plafond, les mots « fils unique » et « emmené » se glissèrent dans son inconscient, alors il commença à écouter plus attentivement, seulement pour entendre un éloge final en l’honneur de leur Dieu. Deux hommes saints le prirent par les bras et sa mère se mit à hurler. Il retourna la tête et n’eut que le temps de voir le visage rempli de panique de sa sœur Alista, ce fut la dernière fois qu’il vit sa famille.

Le gong qui annonçait la fin des négociations dispersa les souvenirs de la mémoire de Kharon. Le moment était venu de rencontrer son nouveau maître. On les dirigea vers la porte numéro sept et le groupe traîna les pieds dans le tunnel de désinfection d’où ils sortirent en toussant. Leur passage dans d’interminables couloirs ténébreux se termina lorsqu’ils arrivèrent à une rampe pour monter dans la soute d’un vaste galion de pirates où on ordonna au groupe de se rassembler dans l’ordre. D’habitude, un garde-chiourme leur annonçait les règles à suivre et, bien sûr, les punitions, avant que le nouveau stock soit repoussé dans la soute. L’équipage se mit au garde-à-vous quand une porte glissa pour laisser passer un homme corpulent qui marchait de toute évidence avec difficulté à cause de ses chaussures qui lui serraient les pieds. Il portait une tunique et un pantalon bleu métallique, taillés pour une personne moins empâtée. Il avait mis sa casquette assortie sur le côté de sa tête chauve, pour se donner sans aucun doute un air désinvolte, mais elle lui donnait, au contraire, l’air comique. Tous les membres de l’équipage présents purent réprimer un sourire ; Ceux qui par le passé n’y étaient par arrivés, avaient vu la fin de leur carrière ou même de leur vie. Phildop IV se pavana le long de la rangée d’individus hirsutes, puis s’arrêta devant Kharon et se pencha vers lui, si bien que leurs nez se touchaient presque. Un parfum écoeurant envahit ses narines. « Comment t’appelles-tu ? »

« Khar… Er… DB115, monsieur. »

« Comment me trouves-tu ? » demanda le chef des pirates, un sillon creusé dans le front par la frustration que l’on ressent lorsqu’on ne peut pas se gratter en public.

Kharon complètement abasourdi par le spectacle prononça les premières paroles qui lui vinrent à l’esprit. « Très bleu, monsieur. »

Les sourcils du chef des pirates se levèrent d’un centimètre, et Kharon pouvait voir que les faux bijoux zubliques l’irritaient de manière insupportable. Ne pouvant plus se retenir, il tendit la main et le gratta, et lorsqu’il se rendit compte de ce qu’il avait fait, il était trop tard. Pour essayer de sauver la situation, Kharon murmura faiblement : « Une petite poussière, monsieur… Excusez-moi. »

Les sourcils parurent errer d’un côté à l’autre avant de s’arrêter au-dessus de ses yeux qui lui sortaient de la tête. Le visage qui avait complètement rempli son champ de vision s’écarta, et il put alors apercevoir la bouche qui était trop proche pour être visible : Elle souriait.

« Prenez celui-ci ! Et ne vous servez pas de ça », cria-t-il en montrant la sonde magnétique à esclave du garde. Kharon ressentit encore une fois un sentiment de désespoir en se tournant vers son nouvel ami, Welpin, auquel il fit un geste de la main. Comme on le fit sortir au pas de marche, il n’eut pas le temps de lui faire ses adieux.

Il n’y avait qu’un lit et une table dans la petite chambre, un vrai luxe. Peu habitué à ce genre de propreté, Kharon touche les murs et le sol et respira l’air frais à pleins poumons. La porte d’une armoire représentait le seul autre élément de mobilier. Il y avait deux énormes combinaisons bleues à l’intérieur. Le garde lui avait expliqué que c’était la pièce réservée à l’esclave personnel, et qu’il devait porter la combinaison après le lavage. Une sonnerie très forte fut suivie d’une voix électronique qui disait, « Attention au cycle hygiénique ». Soudain, une pluie d’eau tomba du plafond et des côtés. Elle avait une odeur de roses. Encore étonné, il se tenait dans ses vêtements trempés quand la voix lui commanda de mettre son vêtement. Il enleva les siens en toute hâte, et prit l’une des combinaisons qui était glaciale. Il la mit en prenant de grandes respirations lorsque le tissu lui toucha le corps. Dès qu’il eut fini, la tissu commença à se rétrécir au fur et à mesure que l’humidité et la chaleur de son corps l’activaient. Heureusement, la combinaison s’arrêta de rétrécir avant de devenir désagréable, mais le visage de Kharon avait toujours l’air horrifié lorsque le garde entra par la porte en riant.

Ils traversèrent tout un labyrinthe de passages, d’une teinte qui lui devint rapidement familière jusqu’à ce qu’ils arrivèrent devant une porte richement sculptée. Le mécanisme dont le grincement pénible révéla que son poids dépassait les spécifications, tira la porte sur le côté pour révéler une salle de cette couleur tout à fait extraordinaire se partageait entre les verts et les violets du spectre. L’odeur des roses était presque enivrante. Phildop IV assis dans un siège aux ornements grotesques, cria en faisant un geste de la main, « Viens ici ! Discrétion… Discrétion, c’est ta force. C’est pour cette raison que tu vas être mon serviteur personnel, et je vais t’appeler… Hum, » ses yeux se levèrent au plafond pour trouver de l’inspiration, « … Esclave ! »

Kharon passa le reste de la journée à apprendre en quoi consistaient ses tâches. Il devait goûter la nourriture, préparer des cocktails, prendre des décisions, comme par exemple, quelles teintes il fallait porter un jour particulier. Il reçut un petit dispositif qu’il devait porter nuit et jour et qui permettait à son maître de l’appeler et de le suivre à la trace. A la surprise de Kharon, il était libre de circuler dans le bateau tout entier, sauf dans le centre de commande, liberté surveillée. En tant qu’esclave personnel, il allait se retrouver bien seul, car il n’était pas accepté par les serviteurs ordinaires, ni par les gardes, et il n’appartenait pas non plus au cercle de ceux qu’il servait.

Dès qu’il fut indépendant, Kharon se mit de toute urgence à la recherche du quartier des esclaves. Est-ce que son ami y était encore ? Si ça se trouvait, ils étaient peut-être tous vendus maintenant, mais il avait remarqué que le bateau n’avait pas fait escale jusqu’à maintenant. Le garde-chiourme l’examina, et Kharon se força à demander du ton de voix le plus imposant possible. « Écarte-toi, je dois inspecter les esclaves ! » Ce ne fut pas sa voix aigue qui le fit obéir, mais son grade. Toutefois, Kharon crut que c’était sa voix, et pour la première fois depuis qu’on l’avait enlevé de chez lui, il fut envahi d’un sentiment de bien-être. Un grand soulagement s’empara de lui et il se mit à courir le cœur battant. Les esclaves levèrent les yeux, surpris, le reconnurent et s’avancèrent jusqu’à la limite du champ de réclusion, mais il put le traverser sans être blessé après avoir mis sa main sur un panneau. Kharon leur glissa des friandises qu’il avait pu sortir en cachette et se mit à chercher Welpin. « Il n’est pas là, mon gars, » murmura une voix appartenant à quelqu’un qu’il connaissait depuis trois étapes. « Il s’est démené pour qu’ils le tuent, alors ils l’ont tué. » Le groupe se tenait en silence, sans bouger. « Il m’a remis ça avant sa mort, et m’a demandé que vous le donniez à un des membres de sa famille si jamais vous les rencontrez. » C’était un poignard incrusté de joyaux, une dague de cérémonie. « Je ne sais pas comment, mais Welpin avait réussi à le cacher. Bonne chance, mon gars. »

Kharon fit demi-tour et partit, déchiré par la solitude dont la douleur le blessa comme une plaie ouverte.

Au fil des mois, Kharon accomplit ses tâches en essayant d’oublier le passé, car désormais c’était sa vie. Phildop IV était satisfait de son nouveau domestique qui avait un talent particulier pour deviner ses humeurs et ses besoins. Le chef des pirates était un homme raisonnable, même s’il était bête, qui pensait qu’il devait se comporter comme le font les chefs de pirates. Il n’aimait pas ce qu’il faisait et devait généralement se dire que c’était son enfance malheureuse qui l’avait conduit à voler les autres, et qu’ils étaient aussi corrompus que lui et que ça n’avait pas d’importance. Au fur et à mesure qu’il faisait plus confiance à Kharon, Phildop IV se confiait à lui et l’emmenait dans les réunions pour prendre des notes à la main, car les circuits électroniques pouvaient trop facilement faire l’objet d’une écoute indiscrète. Après avoir conclu une affaire sur Altair, ils se promenaient le long d’une allée dans un complexe touristique, Kharon se trouvant obligatoirement à quatre pas derrière lui. Deux individus les affrontèrent, tous deux avaient l’air rébarbatifs mais bien habillés. « Hé, toi, la grosse baudruche bleue avec son jouet. »

Phildop IV détestait intensément tout manque de respect envers sa personne et se hérissa, Comment osez-vous insulter ? » Il était encore en train de réfléchir aux représailles éventuelles, quand ils frappèrent. L’un des hommes lui coinça la tête dans une étreinte du bras, l’autre brandit un méchant couteau en visant son gros ventre bleu. « Tire-toi, l’esclave, pendant que tu peux ! Nous allons buter ce gros lard comme il le mérite ! »

Kharon chercha de l’aide des yeux, mais l’endroit était désert. Personne ne voulait se mêler aux fréquentes échauffourées qui s’y produisaient. De nombreuses pensées lui traversèrent l’esprit. Qu’est-ce qu’il ferait si son maître mourait ? Peut-être qu’il l’aimait bien quand même ? Il essaye de s’imaginer comment ça serait, s’il était libre. Il pouvait entendre les pleurnichements pathétiques de Phildop IV. Kharon pensa à Welpin et à sa dague.

« Non ! Laissez-le tranquille ! » Cria-t-il, et il sauta sur l’homme qui tenait son maître et qui lui tournait le dos. Il plongea la lame ornée de bijoux dans sa nuque. Les yeux de l’homme s’écarquillèrent de surprise, puis il se raidit et s’écroula avec des tressaillements. L’autre se sentit soudain très seul et atterré, et détala en laissant Kharon et Phildop IV.

« Bravo, esclave ! Tu y es arrivé juste avant moi. J’étais en train de leur donner un faux sentiment de sécurité. » Comme il se sentait magnanime, il poursuivit en essayant de dialoguer avec un membre de la classe inférieure. « Quel est ton vrai nom ? »

« Kharon Malbron, monsieur. »

« Eh bien… Euh, Kharon, est-ce que tu avais appris ce petit truc pendant ta vie de criminel ? »

« Non, c’est comme ça qu’ils faisaient les sacrifices chez nous. »

« Ha ! » Dans son imagination, il conjura des images d’horreur et de dépravation. « Alors, quel méfait t’a amené à devenir esclave ? »

« Mon père n’avait pas respecté l’Observance, un jour, pour rester avec mon frère qui était mourant. »

Le visage de Phildop IV s’allongea, mais il se reprit en se convaincant lui-même que le criminel mentait.

« Comment puis-je te récompenser ? A par ta liberté ? » Demanda-t-il pour changer de sujet, car son instinct lui disait que c’était probablement la vérité.

« Pourriez-vous vous renseigner pour savoir si ma famille est encore en vie, et leur dire que je suis vivant ? »

C’était vraiment trop pour Phildop IV qui n’aimait pas que sa conscience soit trop remuée. « Je verrai, bon, retourne à ton travail ! » S’exclama-t-il tout agité, tout signe d’amitié maintenant envolé.

Une semaine plus tard, on apprit que la communauté avait été détruite par un tremblement de terre, il y avait un an de cela, et on supposait que tous les occupants étaient morts.

Kharon pensa qu’il ne pouvait pas supporter de douleurs plus intenses, et qu’après tout, Welpin avait peut-être eu raison. Phildop IV était resté plus distant dans ses rapports depuis le jour où il s’était rendu compte que Kharon était un garçon ordinaire qui avait été enlevé à ses parents. Il le grondait fréquemment et relevait des fautes insignifiantes, mais le récompensait généreusement et lui accordait certaines faveurs, comme une permission à terre, par exemple. Quelques améliorations furent apportées au quartier des esclaves et à leur nourriture. C’est ainsi que Phildop IV, chef autoritaire et célèbre, fit face à ce qu’il avait appris.

Une année s’écoula. Kharon était devenu l’un des premiers officiers à bord du bateau. Il ne résidait plus dans sa chambre austère. Sa vie était relativement facile maintenant. Il avait ses propres serviteurs qui s’occupaient des petits travaux, mais il n’était pas libre. Il pensait qu’il aurait dû être reconnaissant de la tournure des événements, et se demandait de ce qui était devenu de tous les esclaves qu’il avait jamais rencontrés. Mais la vie de Kharon semblait vide, sans direction. Il n’aimait guère travailler pour un homme potentiellement honorable, mais irrémédiablement faible et qui était obsédé par sa propre image. Il y avait combien de temps qu’il n’avait pas parlé à quelqu’un comme un ami, un égal ? Il ne pouvait plus s’en souvenir. S’échapper quand il était à terre n’était pas une solution, car il ne pouvait aller nulle part, et on le repérerait bien vite. Quand il décidait de mettre fin à ses jours, quelque chose arrêtait toujours Kharon. Il se tenait dans le sas étanche, la main sur le bouton, mais jusque là, il n’avait jamais appuyé dessus. La flamme de l’espoir qui lui brûlait le ventre semblait trouver un chemin pour ranimer une petite lueur de vie.

Phildop IV observait son esclave personnel qui était en train de vérifier s’il y avait de bonnes occasions sur le marché des stocks. La lueur reflétée par l’écran donnait un aspect blême à son visage renfrogné. Son maître qui essayait maintenant le rouge, s’approcha de lui et lui déclara, sur un ton badin : « On m’a fait une offre pour toi aujourd’hui. »

Kharon leva les yeux, surpris. « Vous voulez dire que vous avez mis une annonce ? »

« Non, si ce n’est que je raconte à tout le monde ici et là, que tu es une petite merveille. Je suppose que tu n’en as pas tellement envie, hein ? C’est pas que je te laisserai partir, de toutes façons. » Une expression terne recouvrit son visage et le coin de sa bouche tressaillit. « Mais ils m’avaient quand même offert un prix astronomique. »

« J’en aurais peut-être envie, » dit Kharon pour voir.

« Oh, je vois. » Tout d’un coup, Phildop IV se trouvait devant un dilemme. Aurait-il dû être en colère parce que l’ingrat jeune homme envisageait de le quitter ? Est-ce qu’il pourrait en trouver un autre aussi bien pour le remplacer ? L’argent, ha, toujours l’argent. « Bon ! Je m’occupe de la vente, alors. »

Kharon était abasourdi. Quelques instants plus tôt, il était désespéré mais bien protégé et maintenant il allait appartenir à un pirate inconnu, peut-être tyrannique. Il était écoeuré.

« Qui est-ce ? » demanda-t-il d’une voix faible.

« Oh, hum… » Phildop IV se plongea dans le document, « … Alista Marlbron. »


 

Les dernières limites

(Moira Sheehan)

 

Lorn finit de mettre la dernière pierre sur le tumulus, puis se releva avec les gestes prudents d’un homme habitué à se déplacer en basse gravité. Il ne s’attarda guère à se demander s’il devait mettre une pierre funéraire. A quoi bon inscrire le nom sur une tombe, sur une planète où aucun autre être humain n’avait jamais mis les pieds et où il était peu probable que quelqu’un s’y aventure à l’avenir. Il ne se retourna pas en revenant à petits bonds vers le Marie-Louise.

Une fois à l’intérieur, il passa son vaisseau au peigne fin pour effacer toute trace de la fille et fourra ses vêtements dans un carton de rangement anonyme. Il ne s’arrêta qu’une fois, lorsqu’il ramassa la ridicule petite boîte à musique. Il ouvrit le couvercle et écouta brièvement la rengaine qu’Elise s’était obstinée à faire jouer même après qu’il l’eut introduite à la majesté des grands compositeurs. Il réprima un serrement de cœur et jeta la boîte à musique dans le carton. C’était plus facile si on ne gardait rien, il y avait bien longtemps qu’il avait appris cette leçon.

Les procédures de décollage l’apaisèrent. Il vérifia le niveau de carburant et décida, comme toujours, d’agir avec extrême prudence. Il avait assez de carburant pour faire deux sauts de plus, mais les deux prochains systèmes ne disposaient peut-être pas de réservoir géant de gaz pour pouvoir les raser. Tout au début de sa carrière, Lorn en avait était réduit à raser un soleil, et il avait juré que cela ne se reproduirait plus jamais. Trouver la mort parque que la chance était contre vous était un risque qu’il fallait prendre dans son travail, mais mourir à cause d’une bêtise flagrance, ça, jamais.

Il ordonna à son ordinateur de calculer un itinéraire qui les emmènerait jusqu’au réservoir géant de gaz le plus proche. Elise lui avait demandé pourquoi il avait choisi une interface avec un clavier aussi primitif pour son ordinateur alors que tous les autres auraient été beaucoup plus sophistiqués. C’était l’une des toutes premières questions qu’elle lui avait posées et il pouvait encore entendre la peur dans sa voix timide de petite fille. Il sourit. Elle n’avait pas mis longtemps à comprendre que son nouveau maître ne la battrait pas, rien que parce qu’elle était curieuse. Elle n’avait pas compris sa réponse et elle avait essayé de cacher sa confusion d’un petit rire nerveux. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle comprenne. C’était son premier voyage dans l’espace, et elle ne pouvait pas apprécier qu’un homme puisse se sentir si isolé qu’il puisse passionnément tomber amoureux des sons chaleureux et féminins de son ordinateur.

Il secoua la tête pour disperser ces souvenirs opportuns et décida que la mise à jour du journal de bord pourrait attendre jusqu’à ce qu’il se soit calmé. Ses doigts hésitèrent sur les touches qui allaient déclencher l’une de ses vingt séquences de rêve favorites, et à la dernière minute, il choisit Trois sur Treize. Il se cala dans son siège parfaitement ergonomique et sentit le toucher impalpable de la seringue hypodermique sur sa nuque.

Certains explorateurs se contentaient des rêves fantastiques mémorisés dans leurs banques de données. Lorn savait que son besoin de compagnie humaine était à la fois sa faiblesse et sa force. Cela l’empêchait de perdre tout sens de la réalité, mais il n’avait pas encore trouvé de femme qui pouvait retenir son intérêt pendant plus d’un an dans les confins du Marie-Louise. Jenna avait été la meilleure parce qu’elle avait l’air si indépendante. Il avait vraiment été atterré le jour où il l’avait trouvée, morte, les veines des poignets ouvertes. C’était le jour où Lorn avait dû admettre qu’il ne comprendrait jamais les femmes. Peut-être ne se rendrait-il jamais compte que tous les humains, qu’ils soient du sexe masculin ou féminin, lui étaient tout aussi étrangers.

Il avait vaguement conscience que le Rêve Trois arrivait à un point où il pouvait se réveiller sans que le retour à la réalité soit psychologiquement ou physiologiquement traumatique. Il entendit le doux sifflement de l’antidote qui pénétrait dans la veine de son cou. Il éprouva ses muscles, puis s’avança vers la tête en anticipant les exigences pressantes de son corps qui suivaient toujours, une fois que l’antidote commençait à agir.

Le rasage des régions les plus éloignées de l’atmosphère d’une planète pour trouver du carburant donnait toujours beaucoup de satisfaction à Lorn. C’était l’une des tâches qu’un pilote humain pouvait exécuter de manière bien supérieure au meilleur des meilleurs autopilotes, et en trente ans, Lorn était devenu totalement compétent dans cette manœuvre. C’était un as. En moins d’une heure, il eut rempli ses réservoirs et l’autopilote éloigna le vaisseau de la planète, prêt pour le Saut suivant.

La mort d’Elise l’avait forcé à revoir ses projets. Il avait réprimé un faible sentiment de colère, d’avoir momentanément laissé ses hormones influencer son jugement. Il aurait mieux valu qu’il prenne l’autre femme. Elle était plus âgée et sa profonde détresse l’aurait rendue encore plus reconnaissante. Pour ce genre de femme, cinq années de servitude auraient paru une somme bien modique à payer, surtout si le prix était sa liberté. Et maintenant, il lui fallait choisir : Soit suivre son programme original et endurer trois ans de solitude, soit se diriger vers la civilisation et accepter les pertes inévitables que cela impliquait.

Une analyse de sa comptabilité le décida. Jusqu’ici, son expédition avait bien rapporté, avec deux habitables et trois systèmes si riches en éléments rares que la Corporation lui paierait certainement une prime chacun. Mais il garderait un habitable pour lui. La chance ne lui serait peut-être pas aussi favorable la prochaine fois. Cisco allait lui payer une bonne prime pour Inexve 1, même s’il y faisait un peu chaud et que la gravité soit basse, et ils seraient contents qu’Inexve 3 présente d’aussi bonnes possibilités de formation de Terre. Lorn s’étonnait toujours de la planification à long terme des Corporations. Les comptables de la corporation n’hésitaient pas à payer des sommes princières pour des informations qui ne pourraient servir que dans dix générations.

Bien sûr, si l’expédition n’aurait pas tant rapporté, Elise n’aurait pas eu de tentation. Lorn s’était assez vite rendu compte que la jeune fille était cupide : Il l’avait découvert en observant la quantité de nourriture qu’elle avalait quand elle avait su qu’elle lui était donnée librement, et dans ses yeux avaricieux lorsqu’il l’avait emmenée faire des achats. Il n’avait pas anticipé que son avarice s’étendrait jusqu’à son vaisseau et aux informations inestimables contenues dans ses banques de données. Le choc avait donc été rude quand il s’aperçut que le système de sécurité qu’il avait programmé dans son ordinateur l’avertit de ses poursuites clandestines. Lorsqu’il l’avait emmenée à la surface avec lui pour étudier Ceiool 1, il en avait fait une épreuve qu’elle avait échouée. Il n’avait éprouvé aucune satisfaction à voir sa surprise quand la torche laser qu’elle balança sur sa combinaison pressurisé s’avéra n’être qu’un faisceau inoffensif de faible lumière. Il avait coupé sa liaison radio pour ne pas l’entendre implorer grâce lorsqu’il dirigea le faisceau de découpe de sa propre torche sur sa poitrine.

Il décida de se diriger vers Epsilon Eridani, après avoir exploré en route deux systèmes oranges de type K et après un arrêt à Aymiay. Il avait trouvé que les meilleurs habitables se situaient autour des soleils de type K, et notamment Phiface. Il évoqua le merveilleux moment où il s’était rendu compte qu’il avait découvert un habitacle presque parfait : La surface était à une température de 20 degrés, la gravité à moins de deux pour cent de la normale sur Terre. Il avait rapporté ces informations à la Corporation Cisco et avait reçu en échange une énorme somme pour sa découverte, ainsi qu’un contrat sur vingt-cinq ans. Ses honoraires de découvreur lui avaient permis d’acheter le Marie-Louise et avec les crédits que Cisco lui avait versé, il avait transformé l’Asp standard en un petit paradis personnel. Cisco avait parlé de coloniser Phiface, mais Lorn n’y croyait guère car ils étaient en pourparlers depuis vingt ans à ce sujet.

Ni l’un ni l’autre des systèmes de type K n’avaient produit de résultats. Lorn prit des notes sur les diverses planètes et lunes et recueillit autant d’informations que possible sans faire de passage individuel au-dessus de chaque planète. Cisco ne s’intéressait qu’à ce qui rapportait. Il pouvait revendre des informations sans importance réelle aux bibliothèques centrales de la Fédération et de l’Empire. Certains explorateurs se moquaient de paiements aussi maigres, mais pas Lorn. Pour Lorn, chaque crédit acquis était un point d’assurance contre les conséquences au cas où il perdrait le Marie-Louise, ou contre une vieillesse où il lui faudrait vivoter avec la retraite de Cisco.

Une fois que les deux systèmes de type K furent derrière lui, le Marie-Louise sauta vite dans l’espace exploré. Lorn traça son itinéraire pour Aymiay qui devait le faire passer par ses endroits de prédilection. Il refit le plein à Canayay et s’attarda pour admirer les deux étoiles binaires, l’une ressemblait à un diamant assorti d’une topaze et l’autre à deux rubis d’un rouge sang, puis, à Mibean, avec ses cinq soleils, et Intiho où il manoeuvra le Marie-Louise pour pouvoir admirer les soleils jaune et blanc au-dessus des anneaux de couleur de la planète solitaire. Ce spectacle était d’une telle beauté qu’il se sentit apaisé.

Lorsque le Marie-Louise sauta dans le système Aymiay, plus d’une demi année s’était écoulé et Elise n’était plus qu’une expérience lointaine qui avait été éditée, si bien qu’elle reposait mieux maintenant dans la mémoire de Lorn. Lorn était excédé des séquences de rêve et il se rendait compte que son manque désespéré d’une compagne féminine lui faisait anticiper sa réunion avec Alista avec plus de plaisir qu’il n’était souhaitable. Il décida qu’il chercherait une compagne professionnelle dès son atterrissage et réserva une place pour le Marie-Louise chez Charlie au Starport Goldstein.

C’était Charlie qui avait créé le Marie-Louise. Elle l’avait basé sur un Asp standard et en avait fait un chef-d’œuvre. Lorn savait que la petite femme grisonnante lui avait demandé une somme bien supérieure à son tarif habituel. Une partie de lui-même craignait le gros soupir qui précédait la remarque inévitable : « Ça va vous coûter cher, vous savez. Du travail comme ça, ça coûte cher. » Charlie connaissait assez bien Lorn pour savoir exactement arrêter ses prix juste avant que ça devienne trop cher et qu’il s’adresse à un concurrent. Lorn faisait confiance à Charlie et celle-ci exploitait le fait que les explorateurs étaient des paranoïaques qui ne faisaient confiance à personne.

Cette fois, Lorn ne prêta qu’une demi-oreille au refrain habituel de Charlie. Tous ses sens, sauf cette demi-oreille étaient fascinés par les filles qui traversaient les chantiers. Même à cette distance de l’équateur, il faisait chaud sur Aymiay, assez chaud pour que l’accoutrement normal des femmes se compose de shorts découpés, de bustiers légers et d’une bonne couche de lotion de bronzage. Lorn se moquait pas mal du fait qu’un très petit nombre de femmes seulement avait un assez joli corps pour pouvoir porter cette mode ; Elles lui semblaient toutes merveilleuses.

« Je croyais que vous voyagiez toujours avec une femme ? » Remarqua Charlie avec impertinence, après qu’il n’eut pas répondu à sa quatrième question.

L’attention de Lorn se concentra soudain sur la vieille femme. La plupart des gens se seraient dérobés à l’intensité de son regard, mais pas Charlie. Elle cracha une boule de sa chique de tabac dans un crachoir tout proche et commença à répéter sa remarque. Lorn l’interrompit. « D’habitude, oui, mais il y a eu un malheureux accident. »

Charlie le nargua. « Alors, c’est pour ça que vous êtes revenus si vite. Je me demandais aussi. » Elle tapota une partie de la coque. « Il n’a pas besoin de révision, mais je vais m’en occuper quand même. Je viens de recevoir de nouveaux lasers, » suggéra-t-elle pour l’encourager.

Lorn secoua la tête. « Je ne vais pas gaspiller un crédit sur des armes. Ça me donnerait peut-être de mauvaises idées, comme celle de me battre au lieu de m’enfuir. Je vous paierai pour une révision complète et je reviendrai dans deux jours pour voir s’il y a quelque chose à réparer. »

« Alors, où est-ce que je pourrais vous appeler ? » Demanda la vieille femme.

Lorn refusa de lui donner des informations qui pourraient se transformer en commérages. « Non, je vous appellerai dans deux jours. » Comme d’habitude, il répugnait à s’éloigner de son précieux vaisseau. « Occupez-vous bien de lui, Charlie, » dit-il d’un ton où se mêlaient la demande et la menace.

Lorn prit une chambre au Hilton. C’était un hôtel civilisé. Les chambres étaient presque aussi confortables que sa cabine sur le Marie-Louise, et la nourriture bien meilleure que ce que le synthétiseur de bord pouvait lui servir. De plus, le Hilton assurait un service d’escorte de grande classe et discret. Deux jours plus tard, Lorn se sentit capable de se mettre en rapport avec Alista à Donaldsville.

Charlie avait fait une liste des petits défauts habituels qu’elle avait repérés sur son vaisseau. Lorn soupçonnait qu’elle travaillait selon une formule. Un gros organe à remplacer tous les cinq ans, et deux défauts mineurs tous les ans entre les révisions. Il convint de payer le prix du devis et l’avertit de ne pas le dépasser de plus de dix pour cent. Elle essaya de lui faire la réclame pour une nouvelle interface d’ordinateur. Celle-ci lui permettait de donner oralement des instructions à l’ordinateur, tout en limitant celui-ci à communiquer sur l’écran. Lorn y réfléchit quelques instants mais décida de s’en occuper lors de son prochain voyage : Il y avait des moments où même sa propre voix lui tapait sur les nerfs.

Après avoir terminé sa communication avec Charlie, Lorn demanda une liaison avec la résidence Marlbron à Donaldsville pour parler à Alista. Elle était sortie et la voix informatique polie et exaspérante lui demanda s’il voulait parler à Kharon Marlbron, à Lester Marlbron ou s’il voulait laisser un message. Il refusa toutes les autres possibilités et mit fin à la communication. Il alla faire des achats pour passer le temps et le regretta immédiatement car il détestait cette activité, et cela lui ramenait Elise en mémoire. Il acheta pour Alista et Lester les premiers cadeaux qui lui tombèrent sous la main, puis rentra en toute hâte pour regagner l’oasis du Hilton.

La deuxième fois qu’il appela, Alista était rentrée. Quand son image remplit l’écran, Lorn adopta une expression marquant un intérêt poli. Elle était encore belle, même si elle approchait la quarantaine, et il était soulagé d’avoir d’autres compagnes féminines avant de l’avoir appelée. Alista ne pouvait pas supporter les hommes qui la déshabillaient du regard.

Ils s’appliquèrent à tisser la toile complexe des formules de politesse qui caractérisaient toujours leurs réunions. Lorn réussit lentement à établir qu’Alista n’avait pas d’homme dans sa vie à ce moment particulier, et que sa présence à la villa ne serait pas repoussée. Elle lui dit aussi ce que l’ordinateur domestique lui avait déjà appris — Lester était à la maison. Il y eut un bref silence.

« Tu pourrais venir me voir, » suggéra Lorn en hésitant.

Alista se mit à rire. « Ce n’est qu’un jeune homme, Lorn. Tu ne me feras pas croire que le grand explorateur de l’espace ne peut pas affronter un jeune garçon ? »

Lorn fut piqué au vif de penser qu’elle se moquait de lui. « Je viendrai demain. »

Il se sentait mal à l’aise dans la navette des transports publics qui était bondée. Lorn regrettait de ne pas avoir loué un petit véhicule pour son usage personnel. Après s’être frayé un chemin pour sortir du terminal public de Donaldsville, il était prêt à payer n’importe quel prix pour un taxi privé qui pourrait l’amener jusqu’à la résidence Marlbron. Il s’installa dans le compartiment arrière et essaya de chasser de sa mémoire la présence de tous ces gens autour de lui. Cela lui avait rappelé son enfance sur Terre, l’entassement constant et le minuscule appartement qu’il avait partagé avec ses parents, ses grands-parents et son frère. Il eut brièvement la nostalgie pour la solitude inorganique de l’espace.

La villa Marlbron avait pratiquement le même aspect qu’elle avait trois ans auparavant, sauf le rosier grimpant était mort finalement. Il avait été remplacé par un nouveau rosier qui n’avait pas encore réussi à escalader le mur, et qui n’atteignait certainement pas le linteau où pendaient les roses au-dessus de l’entrée. Lorn regretta le départ de son vieil ami. Il avait cueilli l’une de ces roses qui pendaient et l’avait donné à Alista lors de leur première rencontre. Il y avait dix-huit ans de cela, toute une vie, avant qu’Alista ait retrouvé le frère qu’elle avait perdu de vue, et qui avait barré leur chemin.

Kharon ouvrit la porte et les deux hommes se dévisagèrent pendant quelques minutes avant que leurs véritables sentiments se dissimulent sous le vernis de la politesse qui leur permettait de rester sous le même toit. Kharon était petit, comme sa sœur, et ils se ressemblaient étrangement, mêmes boucles brunes, mêmes yeux de velours marron.

« J’espère que ta vie se passe bien, » dit Lorn poliment en enjambant le seuil de la porte ?

« Tout se passe extrêmement bien. Je suis marié maintenant et ma femme est enceinte, » répondit fièrement Kharon.

Lorn se souvint vaguement avoir rencontré la jeune femme en question lors de sa dernière visite. Elle avait des traits très ordinaires, et n’avait rien dit, mais Kharon en faisait évidemment beaucoup de cas. Lorn ne se rappelait pas comment elle s’appelait, alors il dut se contenter de répondre les banalités les plus triviales et ne pas se frapper du mépris à peine masqué de Kharon. « La chance vous sourit, » remarqua-t-il, puis avant que Kharon se sentit obligé de répondre, il ajouta : « Alista m’attend. »

Lorn fut introduit dans les appartements d’Alista qui entouraient le jardin au centre de la villa. Contrairement au reste de la villa, les appartements d’Alista étaient toujours frais et les plantes qui poussaient dans le jardin climatisé appartenaient à des variétés qui n’auraient jamais pu survivre dans le climat chaud et éprouvant qui régnait en dehors de la villa. Alista était assise sur le muret entourant l’étang aux nénuphars. Elle portait une robe vaporeuse blanche et laissait traîner sa main dans l’eau. La méfiance de Lorn s’éveilla instantanément : Alista devait avoir grande envie de quelque chose pour se mettre en valeur de manière si manifeste.

Il découvrit de quoi il s’agissait le lendemain. Tout avait été un peu trop parfait : Sa musique préférée, son plat préféré, un vin excellent et sa compagne préférée. Il était si détendu et comblé que les paroles d’Alista étaient presque passées inaperçues. Mais soudain, il réalisa ce qu’elle avait dit. Il se releva vivement et se mit à arpenter la salle à grands pas.

« Si le garçon doit aller au système Sol, je paierai son passage. Il pourrait faire la traversée sur un paquebot de luxe, n’importe quel garçon de dix-sept ans aimerait voyager sur un paquebot de luxe. »

Alissa plissa son front d’une manière qui rappela à Lorn qu’il s’agissait de l’un des femmes les plus riches de Coopersworld et qu’elle avait bâti sa fortune à partir de rien, simplement par une persévérance tenace. « Je ne tiens pas à ce qu’il voyage dans un paquebot de luxe, je veux qu’il voyage avec toi. Un fils doit connaître son père. »

Lorn décida de résister à sa proposition. « Non. Nous sommes des étrangers l’un pour l’autre et notre fils m’en veut. D’ailleurs, dans les circonstances, je comprends très bien son attitude. Si tu nous forces à rester ensemble, ce n’est pas ce qui fera de nous un père et un fils.

La bouche d’Alista se durcit. « La famille est importante. C’est ton fils, ton fils unique. »

Lorn savait qu’il avait perdu cet argument avant même de l’avoir entamé. Il était déjà perdu quand il avait vu Alista assise au bord de l’étang aux nénuphars, mais il poursuivit la lutte. « Bon, il peut avoir tous mes crédits quand je mourrai. Il peut même avoir ma liste secrète des planètes. » Il faiblit et commença à plaider. « Ne me demande pas de l’emmener, Alista, ton fils me hait, il préférera nettement voyager en paquebot. »

Alista savait qu’elle avait gagné. Son front se détendit, ses lèvres esquissèrent un sourire. « Oh, Lorn, à t’entendre parler, on dirait que Lester est encore un petit garçon qui cache des crapauds dans ton placard. C’est un jeune homme et il est même très intelligent. Il a été admis à l’Académie. »

Lorn imagina son fils portant l’uniforme de la Marine de la Fédération et frissonna.

La tension pendant le trajet entre Donaldsville et le Starport Goldstein fut si insupportable que Lorn souhaita avoir pris la navette de transport public plutôt que d’avoir loué un cueilleur. Ces trois dernières années, son fils avait grandi, mais il était toujours petit, comme sa mère et son oncle. Lorn ne lui trouvait aucune ressemblance avec lui, et brièvement et avec optimisme, il se demanda s’il était le fils de quelqu’un d’autre. Mais il savait que son espoir était vain. Il avait été sur Coopersworld bien avant la conception et bien après la naissance de l’enfant : Ça avait été la période la plus longue qu’il ait jamais passé sur une planète particulière depuis son départ de la Terre. Il était jeune et aisé, et Alista était encore plus jeune et encore plus aisée : Ils se croyaient amoureux l’un de l’autre.

Lorn se demanda si le jeune homme souriait parfois. Sur ce point, il ressemblait à son oncle : Marlbron ne souriait jamais. Il essaya sans enthousiasme d’entamer la conversation.

« A moins que tu aies besoin de faire quelque chose de spécial à Goldstein, j’ai l’intention de décoller immédiatement, » informa-t-il le jeune homme maussade.

« Très bien, » répliqua le jeune homme et le silence s’installa.

Lorn aurait dû savoir qu’il était vain d’essayer de faire passer son passager récalcitrant sous le nez de Charlie. Elle se pencha juste au moment où Lorn demandait à Lester de rester devant le garage.

« Pas votre type de passager habituel, » observa Charlie d’une voix forte. « Je ne savais pas que vous aimiez les garçons. »

Lorn profita du désarroi momentané de Lester. « C’est mon fils, Lester. »

Charlie reluqua le jeune homme d’un air renfrogné. « Vous avez bien réussi à le cacher, il est grand maintenant. » Elle étudia attentivement les traits du visage du jeune homme. « On dirait que je le connais. Ah oui, ça y est, Alista Marlbron et son frère. Alors, c’est vous, le père absent, Lorn. Ça va animer les commérages. Merci. »

Lorn savait que ce n’était même pas la peine d’essayer de persuader la vieille bavarde de tenir sa langue. Il paya la note exorbitante sans chicaner et poussa Lester vers le Marie-Louise.

« Quelle sale mégère, » marmonna Lester.

Lorn remercia le ciel qu’Alista ait appris la politesse à son fils. Il avait au moins attendu d’être hors de portée de la voix. « C’est la plus grande mécanicienne de Coopersworld. Elle peut être aussi curieuse et aussi désagréable qu’elle veut. »

« Sa note était salée, » remarqua le garçon.

« Je sais, » admit Lorn.

« Pourquoi tu l’as payée, alors ? » Demanda agressivement Lester.

« Parce que je ne veux pas que quelqu’un d’autre touche au Marie-Louise, et elle le sait, » répondit Lorn.

Lester passa la main sur la coque de l’Asp. « Il est très beau, » admit-il.

Lorn ne put réprimer le sourire de plaisir qui lui montait aux lèvres. « Attends de voir l’intérieur. »

Pendant les dix jours qui suivirent, ils ne parlèrent de rien d’autre que du Marie-Louise. Ils y revenaient toujours pour combler les moments entre les silences confortables. Lorn commença à penser que son fils lui ressemblait peut-être plus qu’il n’y paraissait : Il y avait peu de gens qui comprenaient qu’il n’était pas nécessaire de remplir un silence. Mais le onzième jour, la première question probante fut posée.

« Lorn, pourquoi as-tu abandonné ma mère ? »

Après cela, les questions se succédèrent rapidement. Lorn essaya de son mieux d’y répondre, mais les raisons qui lui avaient semblé si logiques à cette époque-là n’avaient plus l’air très convaincantes lorsqu’il les répétait à un jeune homme dont l’opinion sur le monde était en noir et blanc sans possibilités de nuances. Le jeune homme était d’une naïveté quasi enfantine qui laissa Lorn se poser lui-même des questions sur tout son style de vie. Est-ce qu’il était obligé d’avoir un esclave ? Est-ce qu’il devait travailler pour une Corporation ? Est-ce que ce n’était pas immoral de gaspiller tant de crédits en objets de luxe ?

Malgré tout, Lorn regretta le moment où ils sautèrent dans le système Sol et lorsqu’ils se séparèrent à Titan City. Un véhicule de transport de la marine attendait le jeune homme pour l’emmener à l’Académie et Lorn décida de profiter de l’occasion pour se présenter en personne au siège de Cisco sur Mars. Il passa une demi-journée fébrile à refaire son rapport pour y inclure le deuxième système habitable : S’il devait voir quelqu’un d’important, cela ferait bonne impression. Il fut reçu par l’un des vingt vice-présidents et se sentit ridiculement flatté d’être reçu par un personnage aussi éminent de la Corporation, même si Lorn savait que la seule fonction de cet homme dans la Corporation était de serrer les mains et de dire aux gens qu’ils faisaient du bon travail.

Après Sol, Lorn sauta sur Epsilon Eridani, son lieu de villégiature préféré. A condition d’avoir des crédits, on pouvait pratiquement tout obtenir sur Epsilon Eridani et la générosité de la Corporation avait garanti à Lorn des crédits pendant un temps considérable à l’avenir. Au bout de dix jours d’hédonisme ininterrompu, il jugea qu’il était temps de choisir une compagne pour sa prochaine expédition. Il appela le chef des esclaves où il les achetait habituellement et prit rendez-vous pour les inspecter. Il y en avait sept, toutes de moins de trente ans. Il avait presque arrêté son choix sur la plus jeune, une belle jeune fille de seize ans bien en chair, lorsque l’image d’Elise lui revint brusquement à m’esprit, et son choix se fixa alors sur une petite brune de vingt-huit ans aux cheveux bouclés et aux yeux de velours.

Lorn fixa son regard sur le soleil jaune à travers la visière de son casque, puis attendit que les filtres se stabilisent pendant qu’il admirait le paysage ondoyant. Cevephi était une trouvaille inouïe : un habitable dont la température ambiante se situait autour de 21 degrés et dont la gravité était égale à cinquante pour cent celle de la Terre. Cisco lui payerait une prime faramineuse, peut-être autant qu’ils avaient payé pour Phiface. Un faible déclic annonça l’arrivée d’une communication. Lorn ravala son irritation : Il aurait dû dire à Hannah de rester sur le vaisseau.

« Pourquoi est-ce que je ne peux pas ouvrir mon casque ? » Se plaignait-elle. « Tous les test confirment que l’air et convenable. »

Lorn fut tenté de la laisser faire. Cisco le paierait encore plus pour un test de la pureté atmosphérique. Il s’attarda un instant pour envisager le côté pratique s’il isolait Hannah dans un équipement de survie séparé sur le Marie-Louise, mais il décida que les risques de contagion étaient trop grands. Et puis, il n’avait accompli qu’un tiers de son expédition et il n’avait pas envie de raccourcir une deuxième mission rien que parce qu’il n’avait pas de femme.

« Garde ton casque fermé, » ordonna-t-il. « Retourne au vaisseau. »

Il l’ignora complètement pendant qu’ils attendaient dans le sas que le cycle de décontamination se termine, mais son regard s’attarda sur elle pendant qu’elle retirait sa combinaison, une fois à l’intérieur. Ses cheveux commençaient à reprendre leur couleur châtain originale, et il se demanda une fois de plus pourquoi il avait choisi une brune. Il détestait les femmes aux cheveux bruns.

« Il faut refaire ta décoloration, » déclara-t-il.

Elle le regarda comme un petit lapin effarouché, et inclina la tête avant de regagner la cuisine pour préparer un repas. Lorn se cala dans son fauteuil et commença à calculer avec satisfaction combien il allait gagner.


 

Orbite complète

(David Massey)

 

Les doux rayons dorés du soleil fusant à flots du ciel méditerranéen bleu azur, faisaient étinceler les boutons dorés des uniformes des musiciens de l’Académie qui jouaient une marche militaire pendant que les nouveaux gradués prenaient solennellement leur place. Les uniformes de cérémonie verts et bleus étaient impeccablement repassés et immaculés, chaque bouton astiqué et rutilant. Chaque instrument reflétait un brillant traduisant plusieurs heures de frottement, chaque note résonnait dans l’air pur comme une clochette de cristal.

Lester aspira l’air pur à pleins poumons. Il voulait se souvenir de chaque instant de cette journée jusqu’à la fin de ses jours. L’amphithéâtre qui datait de plus de trois mille ans, servait toujours et était rempli d’étudiants de l’Académie, de leurs parents et amis. Il régnait un petit air de fête parmi le personnel qui n’appartenait pas à marine. Ils riaient et bavardaient, les vêtements multicolores prêtant à la réunion une atmosphère de vacances. Ils tranchaient agréablement sur le personnel de la marine rassemblé sur la scène antique dans leurs uniformes formels, chacun orné d’une rangée de médailles obtenues au combat et en service, et qui ajoutaient des couleurs éclatantes sur leurs uniformes aux couleurs sobres.

Lester et ses co-gradués formaient le bloc central en face de l’auditoire, chaque visage briqué, dépilé, attentif. Les préparations finales du grand jour les avaient occupés jusqu’aux petites heures de la nuit qu’ils avaient passées à aller chercher leurs vêtements chez le dégraisseur, à les brosser, les nettoyer, les frotter, les faire briller et à s’assurer que chaque détail était absolument reluisant de propreté. Ils s’étaient inspectés les uns les autres et ils avaient défilé pour être absolument sûrs de se présenter sous le meilleur aspect possible le jour de la cérémonie officielle.

Dans le ciel, une mouette solitaire cria en tournoyant dans le ciel magnifique de la Terre, avant de repartir vers la mer pour pêcher dans les eaux pures de la baie. Quand il était petit, Lester avait eu l’habitude d’avoir de l’argent et de jouir de tout ce qu’il pouvait lui procurer. Mais les années qu’il avait passées à l’académie lui avaient appris à être modeste, et maintenant il éprouvait plus de joie à admirer les richesses que lui offraient la nature et les êtres vivants que n’importe quelle accumulation de biens matériels.

Il se demanda s’il allait briser le cœur de sa mère lorsqu’il lui annoncerait qu’il avait vraiment l’intention de servir dans la marine. Depuis que son père l’avait amené à Terre, il y avait cinq ans de cela, il s’était posé des questions sur les motifs de sa mère. Il était incontestable qu’elle avait dû tirer de nombreuses ficelles et faire intervenir son énorme influence commerciale pour lui décrocher une place, ici, au cœur de la Fédération. Elle avait même réussi à se faire accompagner de l’Amiral lui-même, pour assister à la cérémonie du jour. Mais il restait un petit doute insidieux sur ses véritables intentions. Dans un sens, il n’était pas convaincu qu’Alista destinait son fils à devenir un officier de la marine. Il l’avait toujours soupçonné d’avoir pour lui des ambitions politiques. Mais il avait mûri pendant ses années sur Terre, et il savait ce qu’il voulait maintenant.

Son parti était pris. Il allait s’engager dans la marine avec un contrat renouvelable, et se consacrer à la Fédération, comme l’Amiral là-bas. Il jeta un coup d’œil au groupe d’officiers de carrière assis en face de l’auditoire dont le nombre augmentait constamment, au fur et à mesure que les visiteurs et les gradués prenaient place. Il se demanda combien de fois ils avaient assisté à des cérémonies semblables, et ils s’ennuyaient parfois devant les parades. Il ne pouvait pas envisager que cela puisse arriver. Comme son regard balayait le stade de plein aire, il sentit son sang se réchauffer et son cœur se gonfler de fierté.

Les anciens blocs de pierres, sculptés par une civilisation aussi ancienne que l’homme, absorbaient le soleil et la musique comme ils le faisaient depuis des siècles. Un air de solennité imposé par le cadre antique qui les entourait contrastait avec les vêtements aux couleurs vives et fantaisistes et les murmures des parents anxieux et fiers. Lester tourna son regard sur la foule et rencontra celui de sa mère, qui était toujours d’une grande beauté malgré son âge. Elle secoua la tête et ses cheveux bruns s’étalèrent sur ses épaules dans un abandon farouche, sans aucun doute privilégié par un conditionneur électrostatique exotique et très cher, qu’elle avait dû acheter pour obtenir cet effet.

Il était étrange de décrire sa mère comme étant « d’une grande beauté ». Son goût personnel en matière de filles s’arrêtait sur un genre tout à fait différent, mais il était sûr que beaucoup d’hommes devaient être attirés par ses charmes, sans parler de l’énorme fortune dont elle disposait. Il ne savait pas pourquoi elle ne s’était jamais remariée après le départ de son père. Elle avait préféré la compagnie de son oncle Kharon. Elle avait eu beaucoup de petits amis et flirts, mais il n’y avait jamais rien de sérieux avec aucun d’entre eux. Pour l’instant, elle semblait s’intéresser à l’ambassadeur de Véliaze qui était assis à côté d’elle. Ils fleuretaient effrontément dans le soleil matinal.

Sa mère rit à une plaisanterie que lui racontait l’ambassadeur. Elle remarque que Lester regardait dans sa direction et lui fit un clin d’œil, sourit et se retourna vers son compagnon ; Elle avait l’air tout à fait heureuse dans cette atmosphère de festivité qui régnait dans cette partie de la foule. Lester ne doutait pas que dès que la cérémonie d’admission des officiers commenceraient, ils deviendraient immédiatement très attentifs. Mais entre temps, pourquoi ne pourraient-ils pas échanger des papotages et des plaisanteries par un jour si superbe ?

L’amiral Flaggherty était en nage dans la chaleur suffocante. Son col le grattait et il avait essayé en vain de changer de position sur sa chaise, mais cette sacrée épée ne voulait pas pendre correctement. Il détestait ces cérémonies formelles — il les avait toujours détestées et les détesterait toujours. Il en voulait vraiment à cette madame Marlbron pour l’avoir envoyé sur Terre. Elle avait dû rappeler beaucoup de gens qu’ils lui devaient des faveurs pour s’assurer que son calendrier l’amènerait à l’Académie le jour de la cérémonie. Il ne put s’empêcher d’admirer l’habileté de cette femme. Il n’avait pas pu refuser d’assister à la cérémonie puisqu’il était sur Terre à ce moment-là. D’autant plus qu’il avait le privilège de remettre lui-même les diplômes d’honneur.

Il essaya d’étouffer un bâillement lorsque l’orchestre en uniformes verts et bleus entonna une nouvelle marche militaire. Il n’aimait même pas la musique militaire, c’était l’une des choses auxquelles il fallait se résigner. Elle était inhérente à son grade, tout comme les réunions aux discussions interminables et les sempiternelles enquêtes du sénat sur les dépenses de la flotte. Si seulement, ils pouvaient apprendre quelques morceaux de jazz, ou des airs d’opéra, le temps passerait plus vite.

Derek balayant du regard les ruines antiques baignées dans la chaleur, dont l’acoustique était toujours fantastique, et évoqua sa propre cérémonie d’admission au grade d’officier. Il se demanda si les jeunes gens de l’auditoire ressentaient le même serrement passionné qu’il avait eu alors. Les choses n’avaient sans doute guère changé. Il pouvait certainement se rappeler la griserie qui s’était emparée de lui quand il avait reçu ses premiers ordres et qu’il s’était rendu compte que dans un instant, il allait s’envoler pour faire le premier voyage sur un croiseur flambant neuf. Jolius devait avoir été excessivement jaloux, mais il avait sa propre mission de reconnaissance à exécuter

Il avait rencontré Jolius deux ans auparavant, qui s’envolait des missions de reconnaissance, mais maintenant chargés de l’exploration de l’ensemble du troisième quadrant. Son ami avait l’air en bonne forme et en pleine santé, ses bermudas rouges et bleus assortis avec goût à un chapeau à large bord verdâtre. Pour se détendre après leurs missions, ils pêchaient la pastenague locale, importée du monde Facece de l’Empire dans les eaux de l’océan de la Nouvelle Californie à Liaququ. Ce poisson était absolument délicieux, et en plus si vous l’attrapez vous-même, il a toujours l’air d’avoir plus de goût que ceux en vente dans les élevages commerciaux.

La haute gravité de l’endroit d’où venait Jolius se manifestait dans les muscles épais qu’il ne pouvait pas dissimuler sous la légère couche de graisse qui s’accumulait autour de sa taille. Il s’était bien fait moquer de lui à cause de sa corpulence, mais depuis bien longtemps, Jolius n’y prêtait plus guère attention et il se contentait de donner des chiquenaudes en représailles aux petites plaisanteries inoffensives qu’on lui faisait à ce sujet. Le soleil d’un blanc éclatant de Liaququ brûlait le pont du navire et les deux hommes qui s’y trouvaient, mais des années de travail dans le grand espace avaient donné à leurs peaux une couleur marron foncée et ils ne craignaient plus rien des implacables rayons du soleil. Les marins se protégeaient automatiquement contre le cancer en prenant une multitude de neutralisants d’allergène pour pouvoir rester actifs dans toute une variété de mondes.

Il avait été ravi de revoir son ami. Ils ne faisaient plus tout jeunes et ils avaient tous deux des fonctions qui imposaient de lourdes responsabilités. Il était toujours opportun de se détendre. Ils avaient attrapé trois gros poissons ce jour-là : Jolius en avait pris deux, mais sa prise était la plus grosse. Les couleurs rouge vif et orange des poissons miroitaient au soleil. Lors d’un barbecue impromptu sur la plage, la chair succulente des poissons avait couronné une journée magnifique et la nuit ils avaient capés à la belle étoile.

Accompagnée de quelques amis, la femme de Jolius était venue en voiture à leur rencontre. Ils avaient ouvert quelques bouteilles d’Old Nova et avaient chanté des airs anciens tard dans la nuit. Les vacances s’étaient bien passées bien qu’ils n’aient pêché qu’un seul jour. Le lendemain, les indigènes avaient pénétré dans le périmètre de la ferme, et il avait fallu mettre fin à toutes les activités touristiques. L’Amiral et le commandant de la flotte avaient dû retourner presque immédiatement à leurs postes, mais il était bon de savoir qu’ils étaient restés amis.

L’Amiral Flaggherty scruta le ciel chaud, une brise légère lui caressa la joue. Les rayons du soleil semblaient blafards par comparaison à l’état actinique d’un blanc F chaud comme Liaququ, mas d’un certain côté il avait l’air « juste », comme si l’ancien soleil de la Terre n’était qu’une mémoire enterrée tout au fond de la conscience de chaque être humain, quelle que soit la planète où ils avaient grandi. De même, le vert profond des oliviers parsemés tout autour de l’amphithéâtre semblait exsuder une bonne santé naturelle qui manquait parfois aux plantes de la Terre sur de nombreux autres mondes. Il ne faisait aucun doute que la Terre était une planète confortable. Flaggherty était toujours content de revenir au foyer de l’humanité.

Il n’avait pas été si heureux la première fois qu’il était revenu sur Terre. C’était après son premier voyage dans l’espace, juste après son admission dans la marine. Le voyage vers l’Empire s’était bien déroulé et l’ambassadeur était arrivé à bon port avec tout le faste voulu et une démonstration appropriée de leur force militaire. Selon les rumeurs qui circulaient à bord, l’apparition d’un croiseur flambant neuf de la Fédération avait joué un rôle important dans certaines négociations de terrains entre la Fédération et l’Empire.

Cela n’avait pas rassuré le jeune Derek Flaggherty qui dès qu’il eût mis les pieds sur le sol de la Fédération, avait presque dû comparaître devant le Conseil de Guerre. Le service secret l’avait accueilli à sa descente du Spirit if Amenitris et l’avait soumis à une interrogation serrée. Il avait été libéré au bout de deux jours sans inculpation, quand il s’était avéré que ses contacts avec l’espion de l’Empire avaient étaient vraiment insignifiants.

Ce n’était que par pur hasard quand il avait remarqué la jeune fille qu’il connaissait sous le nom de Sophie Redbridge dans une base navale sur Démocratie dans le système Zeaex. La région avait été et était probablement toujours l’un des systèmes les plus chaudement contestés. La présence d’un espion de l’Empire au cœur même de la structure de commande de la Fédération provoqua un remous mémorable. Il avait eu de la chance qu’elle se dirige dans une autre direction et qu’elle ne l’ait pas vu. Il avait pu avertir le service secret et l’identifier, puis il avait laissé les Féds régler le problème à leur manière.

Il devait bien reconnaître que c’était probablement la première grande chance de sa carrière car non seulement cela avait effacé la flétrissure de sa réputation inscrite dans son dossier, mais cela lui avait aussi rapporté quelques articles favorables dans la presse. Après plusieurs promotions en grade, et une fois le niveau de son certificat de sécurité nettement améliorer, il put étudier le dossier Redridge. Il n’avait pas été autorisé à le sortir de la pièce qui contenait un écran de haute sécurité. Un moniteur de télévision en circuit fermé était soigneusement placé pour qu’il soit obligé de rester dans le champ du faisceau clignotant rouge de la caméra, ce qui permettait de le tenir en surveillance constante. Par contre l’écran de haute sécurité était transparent pour les gardes qui le surveillaient.

La découverte des techniques de l’Empire pour mettre en défaut les empreintes ADN avait été une révélation pour les chercheurs de la Fédération, et il ne savait pas comment la sécurité avait était resserrée depuis cette époque. Il n’y avait pas eu de changements visibles des procédures, mais il supposait que des laboratoires avaient dû travailler frénétiquement derrière la scène pour établir des mesures de sécurité supplémentaires. Derek méprisait les connivences et les mystères auxquels il se heurtait de temps à autre. Il préférait nettement les actions franches et se sentait toujours souillé après des échauffourées avec les membres du service de sécurité.

Apparemment, Sophie n’avait pas été arrêtée, mais utilisée pour canaliser de faux renseignements dans l’ensemble de l’Empire. Derek était soulagé de lire cette dernière conclusion. Même maintenant, il la respectait d’une certaine manière. Elle avait élu de suivre une carrière dangereuse et il ne pouvait pas la considérer comme une traître. Après tout, quoi que l’ordinateur puisse avoir sur elle, ce n’était pas vraiment une citoyenne de la Fédération. Mais il était vraiment soulagé qu’elle ait été découverte et si efficacement neutralisée.

Il se rendit compte qu’à la chaleur du soleil méditerranéen, il s’était doucement assoupi. Il était presque tombé de sa chaise. Franchement, ça n’allait pas ! Il jeta un coup d’œil sur la palette bigarrée des heureux parents et vit, dans un coin, l’arrivée d’une équipe vidéo, qui s’asseyait sur le sol dans leur skimmer de diffusion extérieure. Apparemment, sa présence était assez importante pour valoir une mention de trente secondes sur le canal d’actualités local, ou c’était peut-être toujours comme ça, tous les ans lors de la cérémonie d’admission des officiers.

Ayant constaté qu’il y avait encore beaucoup de gens qui voulaient entrer dans l’amphithéâtre, Derek se laissa repartir à sa rêverie.

Si la découverte de Sophie avait blanchi son dossier et l’avait rétabli dans les petits papiers de la marine, sa première grande chance avait été la capture de Darling Hanson. Le pirate opérait près d’Anyeth en même temps qu’il passait par là avec le Spirit of Amenitris. Si ce n’avait été pour la délation de Topaze, ils n’auraient pas rencontré le pirate et sa flottille.

Mais en fait, ils suivaient paisiblement une piste concernant des fourrures de Goldskins et avaient facilement remonté jusqu’à la base temporaire des pirates. Flaggherty était en mission de combat quand ils se heurtèrent aux pirates. Il était donc parmi les officiers qui se battirent avec les pirates, homme à homme et navire à navire. Le combat fut féroce et rapide, mais les vaisseaux individuels des pirates ne pouvaient se mesurer aux Falcons et aux Eagles perfectionnés de la marine. Le vaisseau de Flaggherty avait abattu à lui seul l’un des vaisseaux des pirates et était venu en aide dans la confrontation finale avec Hanson lui-même.

Flaggherty gardait toujours un tapis de Goldskin très usé qui ornait le mur de sa chambre d’apparat dans le Poséidon. C’est étrange comme on trouve des trésors personnels dans les lieux les plus étranges. Il avait confisqué la fourrure de la salle de commande du propre vaisseau de Hanson, lorsqu’il avait accepté que Hanson se rende après qu’il se soit réfugié dans sa cosse de sauvetage. Cet engagement contre les pirates avait valu à Flaggherty sa première promotion en action et avait à nouveau confirmé son engagement dans la marine.

Le faible ronronnement d’une sphère vid flottante interrompit le fil de ses souvenirs. Il plana à environ six mètres au-dessus du sol, pivotant lentement dans sa propre turbulence. Il remarqua qu’il y avait cinq enregistreurs qui couvraient la cérémonie, flottant discrètement au-dessus et autour de la foule attroupée. Les opérateurs étaient rassemblés autour des rangées d’écrans de moniteurs sillonnés de fils et de cordons de liaisons de fibres optiques et d’émetteurs à micro-ondes. Les segments d’émetteurs pour satellites qui ressemblaient à des pétales se déroulèrent à l’arrière de l’équipe vid. De toute évidence, il ne s’agissait donc d’une transmission locale. En plissant les yeux, Derek put deviner le logo de l’un des membres de l’équipage. C’était une mécanicienne d’Aymiay ? Bien sûr, il ne fallait pas oublier qu’ils célébraient l’admission au grade d’officiel de l’héritier le plus riche du système, le fils de Mme Marlbron.

Il se commémora ses propres premières interviews. Il avait été paralysé de terreur par la présence de la caméra et avait balbutié tout au long d’interviews éreintantes en bégayant et en se trompant. Au fur et à mesure que son succès grandissait et qu’il montait en grade, il en vint à détester les reporters vid qui n’étaient que des chasseurs de nouvelles à sensation, plus rapaces qu’un itorilleta. Sa première expérience avec un bon journaliste avait été celle avec Walter M’banwe juste au moment où celui-ci se faisait une réputation en tant que journaliste et reporter à la pige.

M’banwe s’était joint à un raid sur une usine de synthèse de drogues basée sur un astéroïde du système Daurila. Le reporter avait réussi à le mette à l’aise et son contrôle habile des caméras vid avait été complètement discret. Pendant deux jours, tout en se rapprochant de la base des pirates, les deux hommes échangèrent des histoires et des anecdotes, mais au moment de la confrontation M’banwe sembla disparaître de vue. A ce moment là, Derek qui avait obtenu le grade de Commander de la flottille, craignait surtout d’être gêné par un personnel n’appartenant pas à la marine, mais ses craintes ne s’étaient pas matérialisées.

Quand ils avaient dû atterrir sur l’astéroïde pour terminer l’opération de dégagement, M’banwe les avait rejoints, en ramenant une mitraillette et des dispositifs de surveillance. Par la suite, il avait raconté à Flaggherty quelques-uns des exploits de chasse qu’il avait accomplis, et une ferme amitié s’était développée entre eux. Personne ne fut plus ravi que Derek lorsque M’banwe remporta la prestigieuse Altair pour son documentaire sur le raid. Derek avait encore quelque part dans ses affaires personnelles une copie autographiée de la vidéo originale.

La capture de Darling Hanson et le démantèlement d’une dangereuse opération de stupéfiants avaient été des moments forts de la carrière de Derek, mais toutes les opérations n’avaient pas été aussi fascinantes ni aussi concluantes. Il avait encore les oreilles qui lui brûlaient, rien qu’au souvenir de l’échec total de sa mission quand il s’été porté au secours des Gardiens du Free Spirit. Il avait capté des messages d’urgence pendant qu’il était en patrouille, arborant le drapeau de la Fédération.

Le canal des appels de détresse diffusait un message, faisant une liste de crimes et de catastrophes épouvantables. Toute la flotte avait été rappelée des bords frontières du système et s’était lancé à la poursuite de l’agresseur. Les Gardiens continuaient de faire une liste interminable d’accusations et de malédictions, réclamant un châtiment pour tous les délits commis par le vaisseau en fuite. Derek s’était demandé ce qu’au nom du ciel, le pilote avait imaginé ce qui allait se passer quand il remarqua les cinq vaisseaux de la marine de la Fédération le poursuivant à toute vitesse.

Dès le début, le Iolanthe avait sauté du système, mais le Capitaine devait ignorer que les navires de la marine étaient équipés de radars de poursuite. Ils entourèrent bientôt le vaisseau-cargo et Derek s’était préparer à engager toute sa force de combat, mais le vaisseau s’était rendu sans faire de couic. Après avoir fait le tour du vaisseau du risque-tout, il ne fut pas surpris de sa rapide capitulation. Il était étonné que ce vieux rafiot ait pu décoller, et encore plus fait un saut dans l’hyperespace.

En fait, il demanda à ses ingénieurs de réparer le vaisseau du Capitaine Jupiter avant qu’ils retournent à la colonie religieuse. Lorsque Flaggherty entendit les chefs d’accusation retenus contre Jupiter, il sortit du tribunal très en colère. Il ne se mettait pas souvent en colère, mais l’air ostentatoire de piété qui se dégageait des vénérables de l’église l’avait exaspéré. A la fin, il avait menacé de détruire lui-même le dôme de la colonie s’ils ne relâchaient pas l’Iolanthe.

Il avait perdu plusieurs jours et d’innombrables crédits de la Fédération à demander à cinq vaisseaux de se mettre à la poursuite d’un petit marchand de deux sous qui voulait faire réparer son distributeur de café ! Il avait même réussi à trouver un distributeur à café de réserve sur l’un de ses vaisseaux, et il l’avait remis au Capitaine Jupiter qui en avait été bien soulagé. Comme il l’avait remarqué à ce moment-là, un homme qui peut avaler le café de la marine ne peut pas être complètement pourri.

La grande chance de sa carrière était arrivée le jour de la destruction des opérations pirates de vente d’esclaves sur la Forteresse Cousens, qui tournait en orbite autour de la Nouvelle Californie dans Epsilon Eridani. Phildop IV, le « prince bleu », donnait des pots de vin aux fonctionnaires de la Corporation pour le laisser établir un empire de ventes d’esclaves basé dans la station orbitale. L’opération elle-même n’était pas illégale, car la station ne tombait pas sous le coup de la législation de la Fédération, mais lorsqu’il commença à étendre ses activités à d’autres mondes proches de la Fédération, la marine avait pu intervenir.

Derek Flaggherty avait des idées bien arrêtées sur l’esclavage et il avait poursuivi Phildop jusque dans l’Empire. Le pirate avait essayé à plusieurs reprises de lui résister. Il avait même fait appel à d’autres groupes qui s’étaient établis en cartel à un certain moment et avaient menacé de former une marine pirate. C’est Derek qui avait été chargé de démanteler leur flotte avant qu’elle ne constitue une véritable menace. Sa confrontation finale avec les chefs pirates qui avait eu lieu dans leur croiseur avait enflammé l’imagination du public. Elle avait fait l’objet d’une mini-série sur le circuit vidéo de la Fédération.

C’est cette opération, étayée sur un palmarès ininterrompu d’exploits couronnés de succès qui lui avait valu sa promotion d’Amiral alors qu’il était encore très jeune. Il espérait avoir bien rempli son rôle. Il y avait bien longtemps qu’il avait reçu ses galons et maintenant il était au sommet de la hiérarchie. Il aurait voulu pouvoir passer plus de temps dans les profondeurs de l’espace, au lieu d’avoir à assister à ces cérémonies sempiternelles. Et ces saletés de col, pourquoi est-ce qu’ils vous coupaient le cou, comme ça ? Il avait décidé de longue date qu’il devait être allergique aux réunions diplomatiques. Si seulement il avait pu boire une petite tasse de café pour se calmer les nerfs.

Lester Marlbron fixait avec une admiration non dissimilée l’homme assis sur le podium à l’avant de la scène. Quel privilège de rencontrer celui qui avait été responsable de la défaite du prince bleu. Il se souvenait encore du jour où son oncle Kharon s’était mis à danser de joie autour du salon lorsque les opérations du pirate avaient été anéanties. Son oncle ne parlait pas beaucoup des années qu’il avait passées en captivité, mais l’humiliation qu’il avait ressentie pendant cette époque s’était incrustée dans son caractère, et l’esclavage était certainement l’une des choses que Lester était bien décidé à combattre.

Son cœur se remplit de fierté en pensant qu’il allait recevoir ses galons des mains du héros d’Iohoay. Quand il était adolescent, il avait lu les exploits et les équipées de l’Amiral. Dès le début, il avait choisi l’Amiral Flaggherty comme modèle d’un officier idéal de la marine. Il se cala sur le gradin de pierre, le dos bien droit et essaya de se concentrer totalement. La cérémonie allait commencer. Les derniers spectateurs prenaient place dans l’amphithéâtre et les caméras qui couvriraient les premiers gradins et la scène étaient toutes installées dans des endroits discrets. Il ressentit une douce chaleur de satisfaction envahir tout son être. Dans deux heures au plus, il ferait totalement partie de la marine. Cette perspective le remplissait d’orgueil.

Il dévisagea plus attentivement les autres hommes assis sur l’estrade. Les deux contre-amiraux et l’ambassadeur de Lunar semblaient frais et dispos, impatients de commencer les formalités par de brefs discours, mais il se passait quelque chose. L’un des diplomates de moindre importance qui assistait à cette fonction et qui était assis à côté de l’Amiral Flaggherty lui donnait une petite bourrade. L’Amiral n’avait pas pu s’endormir ? La fanfare soudaine des trompettes éclata pour annoncer le début de la cérémonie. D’un sursaut coupable, l’Amiral Flaggherty se secoua pour se mettre au garde-à-vous avec le reste des personnalités alors que les premiers gradués s’avançaient pour recevoir leur diplôme d’honneur.